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Blogue de Hélène Arsenault


lundi 4 avril 2016

Signe de vie


Maman, douce maman, donne-moi un signe de vie. Depuis trop longtemps, les conversations téléphoniques s’écourtent, deviennent vides de sens. Il me fallait te voir, constater de mes propres yeux comment tu te sortais de cette fracture de la hanche si malvenue. En route pour te voir, j’espérais que ta santé n’ait pas autant dégénéré qu’on me le disait, tout en anticipant le pire. Et quand j’ai paru devant toi, ton visage s’est éclairé, tu m’as fait le plus beau des sourires. J’étais heureuse de te retrouver, malgré la morosité ambiante. Et puis, tu t’es informée de mes enfants, chose que tu n’avais pas faite depuis longtemps. Ça m’en a dit plus long que tu pourrais le croire. Vois-tu, tu as toujours été là pour nous, même à distance. Quand j’ai quitté la maison pour l’université, tu m’écrivais, tu m’appelais toutes les semaines, tu m’envoyais de petits présents à chaque fête où nous étions séparées. Je n’ai jamais douté une seule seconde que tu pensais à moi, que j’étais aimée. Ça m’a donnée des ailes, ça m’a permis d’étudier et de vivre ma vie en toute quiétude, portée par la confiance que tu serais toujours là pour moi. Quand j’ai eu mes enfants, tu étais encore là, même si le cancer commençait à te consumer à petit feu.

           Chaque année, malgré les traitements que tu subissais, avec tous leurs effets secondaires, malgré tes maux, tes faiblesses, ton corps qui part à vau-l’eau, la concentration et la mémoire qui suivent de près, tu n’avais jamais oublié nos anniversaires. Toujours un petit mot, une gentille pensée, un cadeau par la poste, et ce jusqu’à cette dernière année. Je savais combien ces rites familiaux importaient pour toi, mais désormais, c’était trop, ton corps n’en pouvait plus de se battre, jour après jour, et ça prenait toute ton énergie. C'est pourquoi le simple fait t'informer d'eux m'a fait autant plaisir.

            Depuis que tu es tombée, si bêtement, tu peines de plus en plus à reprendre des forces, à reprendre tes esprits. Tu n’es plus chez toi, parfois désorientée, c’est une grande difficulté qui s’ajoute au reste. Mais tu es tellement forte, tellement courageuse, toi qui ne te plains jamais ! Après tout ce que tu as vécu, après chaque bataille gagnée, quand on pense qu’en 2004 déjà, on ne te donnait plus que 6 mois avant la fin, on peut dire que tu t’es battue bec et ongles, que tu auras fait un pied de nez à tous les spécialistes, à tous les pessimistes qui te condamnaient d’avance, et à mes yeux à moi, tu as déjà gagné la guerre. Car cette guerre contre le cancer, on sait très bien comment elle finira, là n’est pas la question. Cet ennemi impitoyable s’est enraciné en toi et résiste à tous les efforts pour le déloger. Non, ce qui importe, c’est la façon que tu as de regarder ton ennemi droit dans les yeux, de t’accrocher avec une résilience hors du commun qu’on ne te connaissait pas, et de te lever tous les matins pour t’obstiner à conserver chaque parcelle de ton autonomie déclinante. Pour ceci, je t’applaudis et tu as tout mon respect.

            Aussi, comprends-moi, si je tente de capter ton regard, si j’examine chacun de tes gestes à la loupe, si je m’accroche à ton sourire, à un échange de paroles banales, c’est que je cherche désespérément un signe de ta part, le moindre signe que la maladie ne m’a pas tout pris de toi.

            Le jour de mon départ, après avoir passé trop de temps dans le silence à tes côtés, ne voulant plus te forcer à faire la conversation, je t’ai dit que je devais te quitter pour retourner parmi les miens, que je ne savais pas quand je pourrai revenir, mais que je penserai à toi. Je ne m’attendais plus à une réponse, aussi ton silence ne m’a pas étonnée ni déçue. Tu réponds peu, tu ménages tes forces, ou tu es trop isolée dans un monde qui n’appartient qu’à toi, je n’en sais rien.


            J’étais presque sortie de ta chambre quand tu m’as enfin répondu : «Moi aussi, je vais penser à toi.» Je t’ai souri et, les larmes aux yeux, j’ai pu quitter Rimouski, le cœur plus serein, réconfortée par ce signe de vie inespéré.  

2 commentaires:

  1. Oh, Hélène...
    Je suis de tout coeur avec toi dans cette épreuve.
    Courage. À toi et à ta mère.
    Ton texte m'émeut beaucoup.

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  2. Merci Pat, ce n'est pas facile surtout avec la distance. Salutations.

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