Chronique Grain de sel, saison 2011-2012 du journal Sans
papier de la Teluq, par Hélène Arsenault
Chapitre I : État de choc
— Je te quitte,
Marin.
Ne pouvant en
croire ses oreilles, Marin contemple bouche bée sa conjointe des trois
dernières années. Son soleil, son univers, sa bouée de sauvetage. Elle doit
plaisanter, croit-il, mais les valises posées près d’elle dans le portique
démentent cette hypothèse. Ça, ainsi que le dépouillement des murs et des
pièces adjacentes, lui mettent la puce à l’oreille.
— Mais voyons,
doudou, tu n’es pas sérieuse!
— Oh que si!
J’en ai assez de ta passivité, de ton manque d’intérêt, de perdre mon temps à
regarder la télé à tes côtés tous les soirs plutôt que de faire quelque chose
de ma vie. Je veux aller de l’avant et toi tu stagnes, tu me tires vers
l’arrière. Je n’en peux plus!
— Mais…mais tu
m’aimes! Je veux dire, on s’aime non?
— L’amour,
l’amour, comme si c’était la réponse à tout. Pour être honnête, je ne sais pas
si je t’ai jamais aimé, ou si je suis restée avec toi tout ce temps par
habitude.
— Nous sommes
heureux ensemble, enfin, on ne se chicane pas, on s’entend sur tout, on aime
les mêmes choses. J’ai fait quelque chose qui t’a déplu, ma doudou?
— C’est trop
tard, Marin. On n’aime pas les mêmes choses, c’est toi qui es toujours d’accord
avec moi. C’est toujours moi qui décide ce qu’on mange, ce qu’on fait, ce qu’on
regarde à la télé, et même quand on fait l’amour. Toi tu dis toujours « OK »,
tu n’as pas d’opinion et tu ne fais que te rallier à la mienne. Je ne te
connais même pas. J’en ai assez; j’ai besoin d’air, de quelqu’un qui saura
confronter mes croyances, m’introduire à de nouvelles expériences, me faire
évoluer, je ne sais pas moi. Mais j’en ai assez de partager ma vie avec une
carpette ambulante!
— Ouch!
— Tu n’as
aucune espèce d’idée de ce que tu veux dans la vie, et il est temps que tu le
découvres. Crois-moi, je te fais une faveur en partant maintenant, il n’est
peut-être pas trop tard pour toi.
— Non, attends,
je peux changer. Je peux apprendre à faire ce que tu dis…
Elle le
foudroie du regard, se penche pour ramasser ses valises et s’en va sans mot
dire, claquant la porte derrière elle d’un coup de pied.
Marin n’en
revient pas. Il avait bien tenté de lui plaire, de faire ce qu’elle demandait,
de lui passer tous ses caprices pour la rendre heureuse, et maintenant sa
gentillesse et ses attentions se retournent contre lui. Comment une chose
pareille a-t-elle pu arriver? Pis encore, comment a-t-il pu tant donner à une
pareille ingrate durant tout ce temps?
Il fait un tour
de l’appartement qu’il habite désormais seul, mais l’idée lui semble
invraisemblable. Il a mis les pieds dans l’appartement au moment même où elle
finissait de remplir sa voiture avec toutes ses affaires, tout ce qu’elle avait
acheté pour personnaliser leur petit nid d’amour. À bien y penser, ça ne devait
sûrement rien au hasard. Marin se sait une créature d’habitude. Il rentre
toujours à la même heure tous les jours, ne s’arrêtant jamais en chemin à moins
qu’elle lui ait demandé de faire une course pour elle.
Elle lui a dit
qu’elle avait emporté tout ce qu’elle a choisi elle-même, et donc qui lui revient
de droit selon son raisonnement, ne lui laissant que quelques biens essentiels.
Marin regarde les murs mis à nu qui lui semblent soudain ridicules. Elle avait
insisté pour peindre le salon d’un jaune soleil de façon à égayer la pièce
sombre. Il ne le lui a jamais révélé, mais il déteste pourtant cette couleur,
et ce depuis un incident d’enfance sordide impliquant un canari et une raquette
de badminton. S’il le lui avait dit, l’aurait-elle félicité d’avoir enfin
dévoilé son opinion sur une chose aussi banale, ou aurait-elle été déçue de ne
pas obtenir ce qu’elle souhaitait? Mmm, fort à parier sur la deuxième option.
Néanmoins, rien
de ce qu’il a pu faire ou ne pas faire pour la rendre heureuse n’ayant
fonctionné, il ne lui reste plus qu’à commencer à penser par lui-même
dorénavant et advienne que pourra- exactement ce qu’Élyse lui demande de faire,
non? Et le voilà coincé dans une impasse fort déplaisante : se reprendre en
main équivaudrait à suivre le conseil d’Élyse, mais ne rien faire se résumerait
encore à lui donner raison.
Le cœur en
miette, il se traîne jusqu’au réfrigérateur et prend une bière froide. Bud
light, parce qu’elle a moins de calories et qu’Élyse surveille son poids. Le
jeune homme la décapsule, en boit une longue rasade qu’il avale de travers. Il
repose la bouteille sur le comptoir, réalisant soudainement qu’il déteste ce
breuvage infect. Il se dirige ensuite d’un pas lourd vers le salon pour écouter
la télé en s’imaginant que demain tout sera rentré dans l’ordre. Mais comble de
malheur, Élyse a quitté en emportant l’enregistreur numérique, ne lui laissant
qu’une télé sans câble. « Ti-pain chaud! » s’exclame-t-il devant la pièce
dépouillée. Aucune chance de retrouver un semblant de normalité ce soir.
Il s’assoit
tout de même dans l’unique fauteuil de la pièce- un don de sa mère- et s’abîme
dans ses pensées un moment en regardant le plafond dépouillé de son plafonnier,
tentant de trouver un sens à tout ce qui se passe autour de lui. Élyse est
partie, et il s’attend toujours à ce qu’elle franchise la porte d’une seconde à
l’autre en lui annonçant qu’elle a fait une bourde terrible, ou qu'il ne
s'agissait que d'une mauvaise blague dont ils riront ensemble en écoutant la
télé et en buvant une bière insipide. Mais au moins ils seront ensemble. Il
finit par s’endormir là, toujours incrédule et perturbé.
Voici les
options qui étaient offertes lors de la publication originale en ligne, vous
verrez l'option choisie au chapitre suivant:
A) Marin se
réveille en plein cauchemar, déprime, décide que sa vie est trop pathétique et
entreprend de se jeter devant les rails du métro.
B) Marin se
réveille le lendemain, abruti et toujours incrédule, et en créature d’habitude
qu’il est part travailler comme si de rien n’était, espérant retrouver Élyse à
l’appartement à son retour en soirée.
C) Fidèle à
lui-même, Marin entreprend de reconquérir sa belle en devenant l’homme qu’elle
lui demande d’être, peu importe ce que ça lui demandera.
D) Marin se
réveille en sursaut : il a eu une révélation sur la signification de sa vie et
part en quête spirituelle au Tibet pour se retrouver.
E) Marin laisse
tout tomber et s’engage dans la Marine royale canadienne, son prénom l’ayant
prédestiné (croit-il) à des aventures océaniques hors du commun.
Chapitre II : Sympathies
— Ti-pain
chaud! s’exclame Marin en regardant le réveil posé sur le sol, j’suis passé
tout droit.
Il repousse son
drap sans même réaliser que sa couette manque à l’appel. Il saute dans la
douche encore endormi pour en sortir trois minutes plus tard encore tout
abruti. Il se rase en vitesse, tente à peine de dompter sa crinière hirsute et
noire comme la suie pour enfin s’habiller et filer au boulot. Ce n’est qu’en
chemin, une fois debout devant les rails du métro, que les événements de la
veille lui reviennent peu à peu. Pris de vertige, il se remémore enfin le
départ d’Élyse et le dépouillement quasi total de sa demeure. Il a dû se mettre
au lit durant la nuit par pure habitude sans en garder le moindre souvenir.
« Ça n’est
pas possible », se dit-il. Elle n’est donc pas revenue durant la nuit? Il
n’a pas rêvé? Une envie lui prend de rebrousser chemin et de retourner chez lui
pour vérifier le tout, mais le métro arrive juste à ce moment et il doit
prendre une décision. Il embarque, mais durant tout le trajet, Marin tente de
comprendre ce qui lui arrive, encore dépassé par les événements. Comment donc
pourra-t-il vivre sans sa « doudou » chérie?
Quelques heures
plus tard, son troisième café du matin à la main, il tient un client au
téléphone qui l’injurie sans ménagement, tentant de plaider sa cause :
— Maudite
compagnie de sans-cœur, gang de voleurs! Faire ça à un pauv’ veuf comme moi,
c’est juste pas humain!
— Je suis
désolé des inconvénients, Monsieur Brochu, lui répond calmement Marin, mais
vous avez manqué plusieurs paiements déjà et puisque nous restions sans
réponses de votre part, nous avons dû couper votre service internet. Si vous
souhaitez rectifier la situation…
— Veux-tu que
j’te rectifie l’coccyx moué, mon blanc-bec?
— Pas la peine
de vous choquer Monsieur Brochu, si vous voulez bien vous calmer, je suis sûr
que nous pourrons trouver une entente.
À ce moment,
M. Brochu éclate en sanglots. Marin reste coi, regardant autour de lui
pour voir si quelqu’un l’entend au travers de ses écouteurs sophistiqués. Mais
tous les cubicules autour semblent tranquilles et nul ne lui porte attention,
comme d’habitude. Ne sachant que répondre, il attend que son interlocuteur se
calme. L’homme se reprend petit à petit, s’excusant de ses épanchements.
— S’cuse-moué,
s’cuse-moué. C’est juste que… ma femme est morte justement y’a trois mois, et
depuis, j’ai pas pu retrouver une vie normale. J’arrive pu à payer mes comptes,
à faire ma vaisselle, à me faire à manger encore moins. Toi t’as l’air d’un
jeune à entendre ta voix; tu dois pas connaître ça, mais moué qui a passé
quarante-huit ans avec la même femme qui faisait tout dans la maison, qui s’occupait
de moué pis de tout le monde autour, j’arrive pas à reprendre le dessus.
— J’comprends,
Monsieur Brochu.
— Non, tu peux
pas comprendre le jeune. Ma femme, c’était tout pour moué, pis j’pourrai plus
jamais la tenir dans mes bras pis y dire que j’l’aime. Que j’l’admire. Que
c’est la créature la plus merveilleuse, la plus belle, la plus généreuse pis la
plus dévouée qu’un homme puisse avoir. J’lui ai jamais dit tout ça de son
vivant, pis là y’est trop tard. Bout d’ciarge! J’vas recommencer à brailler moué-là!
—
Faites-vous-en pas pour ça, Monsieur Brochu, malgré ce que vous pensez, je vous
comprends très bien, lance-t-il en étouffant un sanglot dans sa propre gorge.
Il s’arrête là,
laissant M. Brochu s’épancher une fois encore, mais malgré lui, Marin se sent
bouleversé. Ce que cet homme décrit, ce vide qu’il ressent correspond bien à ce
que Marin vit en ce moment, ou du moins l’a-t-il cru jusque-là. Élyse
représentait le centre de son univers, oui. Mais il ne l’avait jamais réellement
admirée, ni pour sa beauté ni pour ses qualités de cœur. Non, il l’avait
peut-être aimée jadis, mais jamais comme M. Brochu décrivait l’amour qu’il
avait eu pour sa femme. Peut-être Élyse a-t-elle eu raison et qu’elle leur a
rendu service à tous deux. Il finit par se laisser attendrir par l’homme au
bout du fil et fait quelque chose qu’il n’aurait jamais osé auparavant.
— Monsieur
Brochu, je crois qu’étant donné votre récente perte, la compagnie pourra vous
offrir une reprise de service sans vous demander les versements en retard; et
j’ajoute même trois mois gratuits qui sont bien peu, comparé à votre peine. Je
vous prie de recevoir nos sincères condoléances et je veillerai personnellement
à ce que votre service soit rétabli aujourd’hui même.
— Vrai pour
vrai? Tu vas faire ça pour moué, l’jeune? Ben dans mon livre à moué, t’es un
ti-gars ben correct. Sois béni garçon.
— Merci et
bonne journée.
En terminant sa
conversation, il accède au compte du client, paie les montants dus et les frais
de retard de sa propre poche ainsi que les trois mois gratuits qu’il lui a
promis, puis part en pause café plus perturbé que jamais. Il a besoin de parler
à Jean-Marc.
Au troisième
coup de sonnerie, son ami Jean-Marc répond :
— What’s up?
— Élyse est
partie.
— Partie où?
— Elle m’a
quitté. Comme dans : partie de l’appart avec toutes ses affaires. Hier soir.
— Tu m’niaises,
man?
— J’ai l’air de
vouloir rire d’après toi?
— Man! C’est la
meilleure nouvelle que j’ai entendue de la décennie. Y’était temps! Enfin, je
récupère mon chum.
— Merci pour
ton empathie. Avec des amis comme toi, on n’a pas besoin d’ennemis.
— Voyons, tu
sais qu’elle et moi, on ne s’est jamais supportés. On ne se voyait plus nous
deux! Écoute, on sort prendre une bière après le travail, manger un morceau,
jouer au pool, pis tu me raconteras tout depuis le début, OK?
— OK.
La journée lui
semble interminable, mais finalement, il retrouve Jean-Marc à leur bar préféré
pour y passer la soirée entre gars. Ça doit faire plus d’un an qu’il n’y est
pas revenu, songe-t-il avec amertume.
Il se sent à
peine moins moche que ce matin, mais l’histoire de ce M. Brochu l’obsède
encore. Ce qu’il donnerait pour vivre un amour pareil, confie-t-il à Jean-Marc.
— Man, ça a
tellement failli t’arriver et tu ne t’en es même pas rendu compte!
— De quoi parles-tu?
— Tu te
rappelles, Corinne, la stagiaire à mon bureau? Elle venait à tous les 5 à 7, il
y a quelques années; c’était quand tu venais de rencontrer Élyse…
— Corinne? Oui,
oui, je m’en rappelle. C’est quoi le rapport?
— Viens pas
faire l’idiot avec moi. Vous aviez tellement d’atomes crochus que même moi, je
m’en suis aperçu. Ça crevait les yeux. Pourquoi tu n’es jamais sorti avec elle?
— Ben voyons,
je sortais avec Élyse depuis deux ou trois mois déjà, ça ne se fait pas.
J’étais en relation sérieuse. De toute façon, je ne l’intéressais pas vraiment.
Elle était sympathique, c’est vrai, et drôle, et très intelligente. Mais…
— Mais quoi?
Marin ne savait
pas comment compléter sa phrase. En réalité, il se rappelait très bien cette
fille qui l’avait marqué comme nulle autre. Parce qu’un soir, justement dans ce
même bar, après avoir passé une magnifique soirée à discuter, à rire, à déguster
une stout et surtout à partager une réelle complicité, elle lui avait demandé :
« Ce serait l’fun de se revoir juste tous les deux, ne trouves-tu pas?
Pour un souper à un endroit plus intime qu’ici où on pourrait parler sans se
faire interrompre constamment, hein? »
C’est là que
Marin avait tout gâché en figeant sur place. Il n’aurait jamais, au grand
jamais, répondu « non », car elle l’intéressait réellement, mais
n’arrivait pas non plus à sortir un « oui » du bout des lèvres, car
il pensait à Élyse et ce que ça impliquerait pour eux. Il s'était toujours comporté
en homme fidèle; il lui faudrait donc quitter Élyse avant d’envisager de
poursuivre une relation avec Corinne. La belle Corinne. Mais le voyant hésiter,
celle-ci avait simplement hoché la tête d’un air résigné, vidé son verre et avait
vidé les lieux pour ne plus jamais y remettre les pieds. Jean-Marc lui avait
ensuite appris qu’elle avait décroché un poste dans une grosse boîte à Toronto;
il ne l’avait jamais revue.
Et voilà que
Jean-Marc, son meilleur ami, lui rappelle cette occasion ratée juste au moment
où il se sent le plus vulnérable. S’amuse-t-il à tourner le fer dans la plaie?
Non, ce n’est pas le genre de Jean-Marc, celui qui lui a répété cent fois au
moins combien Élyse l’étouffait à petit feu. Il avait eu raison depuis le
début.
— Je me demande
si…
Voici les choix
pour la suite:
A) Marin oublie
toutes ses réminiscences du passé qui ne mènent nulle part, se saoule, et
puisqu’il ne se présente pas à son travail le lendemain et que l’on découvre
certaines irrégularités dans ses dossiers, il se retrouve au chômage et plus
perdu que jamais.
B) Plus il
songe à Corinne et plus il réalise qu’il y a plus d’un poisson dans l’océan. Il
devient un véritable Casanova que son ami Jean-Marc a bien du mal à
restreindre.
C) Avec l’aide
de Jean-Marc, il entreprend de retrouver la trace de la belle Corinne, disparue
à Toronto il y a quelques années, en tentant tant bien que mal de ne pas trop
se faire d’illusions.
D) Juste au
moment où il est enfin prêt à passer à autre chose, Élyse revient vers lui et
lui annonce qu’elle est enceinte!
Chapitre III : Recherchée
Une géante
blonde aux biceps plus larges que son tour de taille s’avance vers la
réception.
— Monsieur
Gouin?
— Ici.
— Mmm, fait-elle en inspectant son bloc-notes. Votre prénom?
— Marin.
— Vous me faites marcher?
— Ici.
— Mmm, fait-elle en inspectant son bloc-notes. Votre prénom?
— Marin.
— Vous me faites marcher?
Pour toute
réponse, l’homme en question hausse les épaules. Il s’appelle ainsi depuis plus
de vingt-six ans. Il a entendu tous les commentaires possibles et imaginables,
de la dérision la plus sotte aux jeux de mots subtils en passant par
l’incrédulité absolue. De fait, Marin s’est longtemps attardé sur l’intention
de ses parents lorsqu’ils l’affublèrent de cette appellation grotesque.
Agirent-ils par pure cruauté, innocence ou désir d’originalité? Lorsque, déjà
bien avancé dans les affres de l’adolescence, il a finalement osé poser la
question à sa mère, elle lui a répondu, énigmatique : « Mieux vaut un Marin
Gouin qu’un Paul Tron! » Bien sûr elle référait à son propre patronyme
pour lequel elle n’avait pas opté, ce, sur quoi, Marin détient sa petite idée.
Sa mère représente l’archétype même de la féministe féroce et extrémiste et ça
lui apparaît comme le moyen passif agressif qu’elle a choisi pour
témoigner de son mécontentement devant les manifestations courantes du mode de
vie patriarcal. Illogique, mais tout à fait plausible, venant de celle qui s’est
refusée à l’allaiter dès la naissance, ceci constituant « un outrage et un
usage abusif de son corps de femme ». Son père n’a aucunement protesté; il
s’évertuait à laisser son épouse décider de ce qui concernait leur fils unique,
la maison, l’argent, les vacances, bref, de tout. Fiston a de qui tenir!
Ayant
finalement accepté sa désignation d’insecte, Marin tend même plutôt à s’enorgueillir
de l’effet produit lorsqu’on l’interpelle. Si son existence lui semble souvent
morne et sans éclat, au moins son nom le rend-t-il mémorable — un euphémisme.
Miss Muscle
devant lui pousse un soupir désespéré, puis enchaîne :
— Suis-moi, lui
ordonne-t-elle en présumant qu’un type qui porte un nom pareil ne se
formalisera pas de se faire tutoyer sans sa permission. Elle l’entraîne vers un
vélo stationnaire en lui indiquant d’un signe de tête qu’il doit y monter.
Durant près d’une heure, Marin subit donc divers supplices visant à évaluer sa
condition physique. Inutilement selon lui. Il aurait pu tout autant répondre «
Nul » au questionnaire ; ça lui aurait évité tout ce remue-ménage et ces
élancements qui déjà s’annoncent mémorables. Mais il a résolu de se reprendre
en main, corps et esprit, et se remettre en forme lui paraît un passage obligé.
En sortant du gym ce
soir-là, il hésite sur le chemin du retour devant La Belle Province, mais tient bon. Il rentre
plutôt se préparer une délicieuse salade (bocconcinis-tomates-basilic-huile
d’olive) de quatre portions qu’il engloutit en entier en moins de dix minutes.
Il consacre le reste de sa soirée à ses recherches sur internet (le 7e soir
consécutif), en vue de retrouver sa belle.
Jean-Marc s’est
aussi débrouillé de son côté pour dénicher la trace de son ancienne stagiaire.
Sans grand succès jusque-là. Il connaissait la firme torontoise qui l’a
embauchée dès son stage terminé, mais il a entendu dire qu’elle a quitté pour
«on ne sait où». Depuis, plus d’indice. Corinne Scott se révèle un nom très
répandu partout dans le monde, ce qui brouille les pistes. Marin demeure
cependant plus que décidé à retrouver cette jeune femme qui l’a tant chamboulé,
même si ce n’est que pour lui affirmer qu’il regrette de tout cœur cette
occasion ratée. Le romantique en lui se répète qu’il n’est jamais trop tard
pour bien faire, s’imagine la croisant par hasard lorsqu’elle passerait à
Montréal, les deux jeunes gens se jetant aussitôt dans les bras l’un de
l’autre.
Marin le
cynique, lui, n’y va pas de main morte : « Fais-en ton deuil, mon pote, une
fille comme ça n’est certainement pas restée seule bien longtemps, elle est
déjà casée et te rira au visage si tu l’abordes. Oublie ça! » Mais il n’arrive
tout simplement pas à s’y résoudre, peine perdue. Et puis, il se morigène de
s’être montré si poltron lors de leur dernière soirée ensemble. Au moins il lui
doit la vérité, sinon ça risque de le hanter jusqu’à la fin de ses jours.
Mais ce soir
une surprise l’attend. Un courriel de Jean-Marc reçu le soir même s’intitule «
Euréka! ». Fébrile, Marin en parcourt le contenu tout en retenant son souffle.
Eh oui,
Jean-Marc tient une mince piste, une chance inespérée. Il a découvert une
collègue et amie de Corinne qui a certainement gardé contact avec elle après
son départ de cette première firme à Toronto! Voilà le lien qui lui manquait.
Mais Jean-Marc lui spécifie aussi qu’il a assez perdu de temps avec tout cela
et que Marin doit poursuivre les démarches par lui-même. Bon. Il s’empresse de
remercier son ami pour l’aide apportée jusque-là, lui assurant qu’il s’occupe
du reste. Il lui faudra prendre son courage à deux mains et communiquer avec
ladite Jennifer, l’amie de Corinne et cerbère de son cœur peut-être.
Que va-t-il
donc lui raconter? La vérité? Mais non voyons ! Il n’arriverait qu’à
s’embarrasser. Il lui faut songer à un meilleur stratagème…
Voici les choix pour la suite :
a) Après de nombreux
efforts, Jennifer demeure introuvable alors Marin concocte un plan B : il se
rendra à Toronto pour remonter la piste et retracer sa Corinne.
b) Il se
présente comme un représentant du régime de retraite à un travail de Montréal
qu’elle a omis de racheter. Il doit la retracer sinon son compte fermera sous
peu. Mais Jennifer n’est pas dupe…
c) À la
dernière minute, il choisit la franchise en espérant que cette Jennifer aura la
fibre aussi romantique que lui, et qu’elle l’éclairera peut-être sur la situation
amoureuse actuelle de Corinne.
d) À la
dernière minute, il panique complètement en ne sachant que dire. Il abandonne
l’idée de revoir Corinne avant de s’être complètement remis en forme, de
posséder un corps d’Apollon, un style vestimentaire recherché, d’avoir raffiné
ses talents de chef cuisinier, de décorateur d’intérieur, de bricoleur et de
maître de maison bref de tout ce qu’il croit le rendra digne d’elle.
Chapitre IV : Déplacements
Dans l’avion
qui le mènera à Toronto, Marin se remémore sa dernière discussion avec sa mère.
Le salon commençait à
prendre des allures plus habitées, maintenant que Marin y jette son dévolu.
Après le départ brutal d’Élyse dans sa vie, et surtout de leur appartement, il
s’est retrouvé dans un logis quasi vide qui ne lui ressemble pas du tout. Il a
laissé cette femme, qu’au fond il n’aimait pas vraiment, régenter tous les
aspects de son existence simplement parce qu’il n’avait pas envie de réfléchir
par lui-même, de prendre ses décisions d’adulte, de s’assumer comme tel. Après
toute une vie sous la dictature d’une mère frustrée et acariâtre, il croyait
bêtement qu’il en serait toujours ainsi de toutes les présences féminines dans
son quotidien. Toutes, à l’exception de Corinne, cette jeune femme qu’il a
rencontrée lors de 5 à 7 mémorables, et qui s’imprègne dans son esprit comme
celle qu’il a laissé filer. Depuis il tente de retrouver sa trace, mais la
seule piste qu’il a pu dénicher, cette
Jennifer, ne retourne ni courriels ni appels téléphoniques.
— C’est trop
foncé, j’te dis. Dans une semaine tu voudras tout repeindre tellement ça va
t’énerver, tu vas voir.
— Maman, j’aime
ça, moi, les murs foncés. Je trouve que ça rend la pièce plus intime.
— Plus intime!
Pff. Tu ne sais pas de quoi tu parles. Depuis quand t’intéresses-tu à la
décoration de toute façon?
— Depuis là,
maintenant. Et je me fous absolument de connaître les principes de décoration
parce que je me fie à mon propre goût pour la première fois de ma vie.
— Ton goût,
justement, ça n’est pas une référence.
— Maman, stp,
j’en ai assez qu’on me dicte constamment quoi faire. Ce serait donc si
difficile de te montrer heureuse pour moi, parce que je me prends en main, que
je m’affirme, que j’exprime mes goûts et mes besoins?
— Ben non, ben
non. C’est sûr que c’est beau à voir, comprends-moi bien. Mais tu n’as jamais
fait ça, comment peux-tu être certain de ne pas te tromper?
— Si je me
trompe, ce sera MON erreur, tout simplement. Et ça n’a rien de bien grave.
— J’te dis, ça
rapetisse la pièce, du bleu foncé comme ça. Tu vas te sentir étouffé.
Marin a posé
son rouleau à peinture en soupirant. Il s’est tourné en regardant sa mère, les
yeux emplis de sollicitude.
— Maman, tu
sais que je t’aime.
— Ben oui, je
l’sais.
— Non Maman, je
ne crois pas te l’avoir jamais dit comme ça. Je t’aime maman. Et je sais que tu
m’aimes, que tu te soucies de moi, voilà pourquoi tu ne peux t’empêcher de me
donner des conseils. C’est plus fort que toi. Mais fais-moi confiance, je peux
prendre soin de moi, et plus important encore, je peux assumer mes torts et mes
échecs. Alors stp, si tu es venue m’aider à refaire mon salon, j’apprécierais
beaucoup que tu cesses de critiquer mes choix, et que tu m’aides plutôt à
nettoyer ma bibliothèque et mes livres, ça m’avancerait beaucoup.
Ça lui a cloué le
bec, puis enfin elle s’est mise à sangloter en se cachant le visage entre les
mains. Il l’a prise dans ses bras, chose inusitée pour eux deux. Sa mère s’y est
laissé aller quelques minutes avant de s’essuyer les yeux, le remerciant.
— Marin, mon
grand garçon! Enfin je te vois devenir un homme. Et elle a éclaté en sanglots
de plus belle.
Lors de cet
après-midi mouvementé, Marin a réalisé combien il s’était déjà progressivement
transformé, si sa mère le voit enfin comme un adulte, qu’elle arrive à le respecter
dans ses choix, ça les change! Mais Corinne elle, que penserait-elle du
nouveau lui? Et plus le temps passe, et plus Jennifer, son seul contact, lui
semble injoignable, plus il se demande si cette jeune femme vaut tout ce
remue-ménage. Chaque fois la réponse s’impose d’elle-même : absolument.
Il a opté pour la franchise
et raconté à Jennifer par message vocal qu’il est un ami de Corinne de Montréal
et qu’il passerait à Toronto très bientôt, en espérant la revoir. Il a dû se
trouver une raison pour partir à Toronto pour un week-end, aussi a-t-il fureté
sur Internet en quête d’un congrès susceptible de l’encourager à se déplacer
jusque-là. Et il a trouvé exactement ce qu’il cherchait : le congrès
Toronto ComiCon se tenait au mois de novembre. Aussi est-il allé de l’avant
pour s’y inscrire, se disant qu’aussi bien faire d’une pierre deux coups, et
s’il ne réussit pas à rejoindre sa belle, au moins s’amusera-t-il enfin à l’une
de ces conventions de nerds de tous genres auxquelles
il rêve de participer depuis longtemps. Corinne comprendrait, elle qui
d’ailleurs adore les héros de bandes dessinées.
Jean-Marc
aurait bien voulu l’y accompagner, mais il doit travailler ce week-end-là. Mais
son bon ami lui a souhaité bonne chance tout en l’encourageant à rester en
contact avec lui durant son périple, au cas où Marin commencerait à se
dégonfler.
Quand il faut y
aller, il faut y aller! Le vendredi soir venu, Marin s’embarque donc pour un
vol Montréal-Toronto qui changera sa vie.
Se trouver sur
place à Toronto lui facilitera la tâche, espère-t-il. Il pourra enfin se
permettre d’appeler tous les Scott, C. de l’annuaire. Il espère simplement que
celle qu’il cherche réside toujours dans cette ville, car déjà la tâche s’annonce
colossale!
Après un vol
sans ennuis, il se rend à l’hôtel bon marché qu’il a réservé, tente de joindre
cette fameuse Jennifer à nouveau, sans réponse. Il lui spécifie où il est
descendu et le numéro de l’hôtel, ne voulant perdre aucune occasion de revoir Corinne.
Peut-être lui transmettra-t-elle l’information, et peut-être que celle-ci se
pointera là devant l’hôtel pour le surprendre. Ou bien elle l’appellera à
l’hôtel… Mais tombera sur une ligne occupée, sans doute.
Chaque fois
qu’il échafaude de tels scénarios, ils tournent au vinaigre, comme si Marin
n’arrivait pas à s’imaginer une suite réjouissante à toutes ses
démarches. Et pourtant, ça correspond bel et bien à tout ce que son cœur désire.
Comme prévu il
passe la soirée à téléphoner à une longue liste de Scott, sans grand succès.
Peut-être aura-t-il plus de chance le lendemain, et assurément plus de plaisir,
au ComiCon.
Voici les choix pour la suite :
a) Au
beau milieu de la nuit, son portable sonne : c’est Corinne. Elle a eu son
message, et elle doit le voir urgemment- c’est une question de vie ou de
mort!!!!!
b) Sans
nouvelles de Corinne ou de Jennifer, sa présumée amie, Marin se rend à la
convention ComiCon où une Batgirl masquée semble le suivre pas à pas.
c) À
son retour du ComiCon le lendemain, un message de Corinne l’attend à sa
chambre : elle aurait bien aimé le revoir, mais malheureusement elle part
le soir même pour l’Inde y passer trois mois dans un Ashram. Elle doit se
rendre à l’aéroport pour 18 h, et il est 17 h 50.
Chapitre V : Rencontres
Lorsque le
réveil retentit, Marin doit quitter de mauvais gré un merveilleux rêve mettant
en vedette sa Corinne. Ils s’étaient retrouvés à l’hôtel, il l’avait invitée à
le visiter à sa chambre, lieu propice à la discussion, ce qu’ils avaient très
peu fait au final.
Le jeune homme
jette un coup d’œil au réveil, toujours incrédule : sept heures treize du
matin. Il ferme l’appareil qui a osé l’extirper d’un sommeil si délicieux,
interrompant la toute première fois qu’il rêve de sa dulcinée depuis qu’il la
connaît. Il s’endort désormais en pensait à elle, en s’imaginant nombres de
scénarios de retrouvailles, mais toujours sa logique et ses craintes finissent
par prendre le dessus sur le romantique en lui. Mais ce rêve, quel rêve!
Il ferme les
yeux et tente de reprendre le songe en cet endroit paradisiaque où quelques
secondes auparavant il se prélassait encore, en vain. Le charme est rompu.
À regret il
repousse ses couvertures, passe à la salle de bain faire sa toilette où il hurle
de surprise: pas d’eau chaude. Il descend au restaurant de l’établissement pour
déjeuner, après avoir avisé la réception de ses mésaventures sous la douche.
On y verra, lui promet-on.
Une fois
confortablement installé derrière une assiette d’œufs brouillés, le moral lui
revient. Il se tient là, dans sa ville à elle, plus près qu’il ne l’a été
depuis le début de ses recherches. Et avec un peu de chance, il la reverra
bientôt. Il considère son dernier rêve comme une sorte de prémonition, bref
tout augure pour le mieux.
Juste à ce
moment, il renverse son café sur sa chemise et son pantalon, et en jurant,
éponge le dégât. Il n’a pas apporté beaucoup de vêtements de rechange, vu la
brièveté de son passage à Toronto.
— Baptême! lance-t-il
à personne en particulier. Et voilà pour le bon augure.
Un brin
maussade, Marin monte à l’étage pour se changer avant de filer vers le congrès
ComiCon. Se faisant, il vit un instant de panique lorsque la porte de
l’ascenseur tarde à s’ouvrir, puis il s’accroche le pied en sortant et s’affale
de tout son long. Son nez se met à saigner, et sérieusement sonné, il se relève
avec peine, s’appuyant au mur pour se rendre à sa chambre en titubant. Nom de
Dieu, est-il damné? La journée démarre trop mal pour bien se terminer.
Après s’être
nettoyé et changé, il quitte l’hôtel pour prendre un taxi : direction le
ComiCon.
Arrivé sur les
lieux, l’effervescence lui coupe le souffle et tient même sa belle loin de ses
préoccupations pour environ cinq minutes, ou plutôt quelques heures. Il y a
tant de choses à voir, et pas seulement dans les kiosques. Il ignorait
jusque-là combien de fans se déguisent pour ce genre d’événement alors que lui
avec ses jeans et son t-shirt de Star Trek paraît plutôt ordinaire. Une autre
fois peut-être s’y présenterait-il en Capitaine Kirk ou en Jedi, ça lui siérait
à ravir.
Bien vite, il
ne sait plus où donner de la tête. Par ici des nouveaux jeux à l’essai, par là
des conférences de vedettes sur des productions récentes ou à venir, et là
encore des technologies du futur. Il se sent comme un enfant à la Ronde.
Après deux
heures de batifolage, il s’assit pour souffler un peu et en profite pour
regarder tous ces visages maquillés ou masqués l’entourant. Il a soudain la
conviction que Corinne se trouve ici, dissimulée parmi tous ces gens. L’endroit
parfait pour observer tout en passant inaperçu quoi. Il lui faudrait dévisager
tous les visiteurs pour arriver à la reconnaître.
Qu’aurait-elle
choisi? Elle n’aurait sûrement pas opté pour jouer l’exhibitionniste en Wonder
Woman ou en Princesse Leia esclave de Jabba le Hut. Non, la jeune femme qu’il
admire tant aurait choisi quelque chose de plus subtil, mais en même temps de
puissant, de théâtral. Il l’imagine facilement en guerrière Klingon, en
Valkyrie, en vampire ou en Cat Woman. Tout semble possible ici où tous les
genres se confondent.
Sur ces
réflexions, il remarque une jolie Batgirl haut perchée sur ses bottes à talons
aiguilles noires comme le reste de son costume, s’affairant à lire une revue au
kiosque juste en face de lui. Il aurait juré l’avoir aperçue plus tôt au stand
de Marvel. Et à cette autre occasion, alors qu’il inspectait un prototype de
console de jeu. Oui, il reconnaît la longue chevelure blonde qui descend
jusqu’à ses reins, une perruque selon toute vraisemblance. Se peut-il que…?
Son cœur
battant la chamade, il prend son courage à deux mains et s’approche de la femme
en question qui lève la tête vers lui à son arrivée. Hésitant, il lui demande :
— Corinne?
C’est toi?
—I’m sorry, but
you’ve got the wrong girl. Or do you? ajoute-t-elle avec un immense sourire à
faire fondre tous les icebergs de ce monde.
— Oh! Désolé.
—It’s OK,
what’s your name?
— Marin.
Mais déjà la
désillusion se peint sur son visage. Il ne va tout de même pas aborder toutes
les femmes qu’il croise pour repérer Corinne, alors qu’il ignore même si elle
s’y pointera. Il se rassoit et prend sa tête entre ses deux mains, déconfit.
—You look like
you could use a hug.
Il se tourne
vers Batgirl qui, sans plus de préambules, s’assoit à ses côtés, le saisit par
les épaules et lui donne une tendre accolade, le laissant d’autant plus
perplexe sur ses origines. Puis elle se lève et s’esquive en lui lançant :
—I hope you
find the girl you’re looking for.
— Moi aussi je
l’espère.
Enfin, ça n’a
pas été entièrement désagréable, admet-il. Il ne va pas se gâcher l’existence
après une matinée si bien remplie. Convaincu qu’il se portera mieux avec le
ventre plein, il se dirige vers la cafétéria pour manger un morceau. Il charge son
cabaret de victuailles santé puis se présente à la caisse : plus de
portefeuille!
— Ti-pain chaud!
Batgirl m’a volé!
Il doit
replacer son plateau et sortir sans avoir avalé une seule miette. Il bout de
colère. En se dirigeant vers le bureau de la sécurité, il rumine sans cesse les
derniers événements, se culpabilisant de s’être montré si naïf, et de l’avoir
laissée abuser de sa vulnérabilité le temps de lui dérober son portefeuille. Ça
va chauffer.
Il explique son
histoire à un agent en poste, mais comme on lui fait remarquer, on retrouve
très difficilement quelqu’un dans ce bazar. La fille peut se terrer n’importe
où maintenant, et sous n’importe quelle apparence ou presque. Ils essaieront de
la dénicher, lui assure-t-on, mais Marin n’en croit pas un mot. La naïveté a
ses limites, apparemment.
C’est d’autant
plus fulminant et affamé que le voyageur déplumé émerge des locaux de la
sécurité. Midi n'a pas encore sonné et la journée ne finit plus de
s’embrouiller. Et maintenant, comment arrivera-t-il à se débrouiller sans ses
cartes? Au moins son passeport et son billet d’avion se trouvent-ils à l’abri à
sa chambre d’hôtel.
Affligé, le
jeune homme sort de la salle de congrès, s’écrase contre un mur, dans le grand
corridor pour tenter de se calmer et réfléchir à la suite.
— Marin?
Voici les choix pour la suite :
a) Il
rencontre finalement Corinne qui tentait de le repérer au ComiCon. Elle n’avait
pas pu le joindre auparavant, trop occupée à planifier son départ imminent pour
l’Inde.
b) Il
retrouve la trace de sa Batgirl, nulle autre que Jennifer, l’amie de Corinne
qui s’était pointée là en éclaireuse et qui se permet certaines libertés avec
Marin.
c) À
la suggestion d’un autre visiteur, il passe aux tableaux d’affichage où les
gens se donnent rendez-vous pour laisser un message à Corinne, mais un
message l’y attend déjà avec la marche à suivre pour la retrouver.
Chapitre VI : Le cerbère
— Marin?
Ce dernier lève
la tête vers la voix qui vient de l’interpeller. Une grande blonde en jeans et
t-shirt se tient penchée sur lui.
— Oui?
— J’ai vu ce
qui s’est passé plus tôt, je suis désolée. Je regardais dans votre direction
lorsque cette Batgirl a pris ton portefeuille et s’est esquivée, aussi je me
suis mise à la suivre à la trace. Je me trouvais trop loin pour t’avertir, mais
j’ai vu où elle se dirigeait et j’ai tenté de la retrouver, mais elle m’a
semée. Oh excuse-moi, je suis Jennifer.
Elle lui tend
la main en se présentant.
— Quoi? La
Jennifer que je tente de joindre depuis des mois? J’ignorais même si tu avais
reçu mes messages. Attends! Tu m’espionnais? Corinne t’accompagne?
Il se relève
d’un bond en se mettant à chercher partout autour de lui, oubliant déjà ses
malheurs et la présence de son interlocutrice.
— Non,
détrompe-toi, il n’y a que moi.
— Dommage.
J’aurais bien aimé un peu de bonnes nouvelles pour changer.
— Je viens au
Comicon chaque année, aussi je savais que tu y assisterais et je t’ai reconnu à
partir d’une photo que j’ai vue sur Facebook. Je me demandais qui tu étais. Je
suis navrée de ne pas avoir de meilleures nouvelles à t’offrir au sujet de ton
portefeuille, mais je pourrais déjà te payer de quoi dîner, puisque tu te
retrouves sans le sou.
— Mais non,
voyons. Je vais simplement rentrer à l’hôtel et me débrouiller de là.
— Allons,
laisse-moi t’inviter, c’est le moins que je puisse faire pour un ami de mon
amie.
Il allait
protester à nouveau lorsque son estomac se charge de répondre à sa place : le
gargouillis magistral a raison de ses dernières résistances et il s’abandonne à
la gentillesse de Jennifer. Ils partent vers la cafétéria où il se charge un nouveau
plateau, plus modeste que la première fois, alors que Jennifer l’accompagne
d’un muffin et d’un café. Ils s’installent dans un coin tranquille pour mieux
discuter.
— Alors,
veux-tu bien me dire comment joindre Corinne? J’aimerais vraiment lui parler
directement tu sais. Depuis tout ce temps que je demeurais sans réponse, j’ai
fini par me faire à l’idée qu’elle ne voulait pas me voir.
— Pas faux. Je
pense que ce serait une très mauvaise idée de la voir.
Marin s’étouffe
presque sur son sandwich au thon. Il prend une gorgée de V8 pour aider le tout
à passer, puis objecte :
— Une très
mauvaise idée? Comment peux-tu penser ça? Comme si j’étais un type louche ou
quelque chose du genre. J’avoue que j’ai dû te paraître un peu bizarre à tenter
de la joindre par toi, mais je ne pouvais faire autrement. Et puis je ne vais
pas lui faire de mal, je voulais juste renouer avec une bonne copine que j’ai
perdue de vue bien malgré moi. J’ai des choses sur le cœur que j’aurais aimé
lui dire, et c’est important pour moi.
— C’est
peut-être important pour toi, mais tu risques de le regretter. Je ne voulais
pas te blesser, mais je dois te le dire : Corinne a jeté son dévolu sur Liam,
l’amour de sa vie. Elle n’a aucunement besoin de revivre les moments où tu l’as
rejetée comme une vieille chaussette alors qu’elle s’est créé une vie décente
ici et ça lui convient parfaitement.
— Oh! Alors …
Qu’est-ce qu’elle t’a raconté au juste?
— Tu t’entêtes
à la contacter, mais elle t’a complètement oublié, et c’est parfait ainsi.
Lorsque je l’ai connue, elle m’a confié que tu lui avais causé beaucoup de
peine, mais elle t’a effacé de son esprit maintenant. Alors aies donc la
gentillesse d’en faire autant et repars à Montréal, c’est pour le mieux pour
vous deux je crois.
Marin en demeure
bouche bée. Tous ses efforts, en vain? Il a toujours su que la possibilité
existait, qu’une merveilleuse fille comme Corinne ne resterait pas seule très
longtemps, et pourtant il ressent toujours le besoin de lui dire ce qu’il a
retenu depuis si longtemps. Mais Jennifer n’a-t-elle pas raison, et n’agit-il
pas de façon complètement égoïste et stupide? Si sa belle est heureuse, il ne
sert à rien de remuer de vieilles plaies pour se vider le cœur. Qu’a-t-il donc
espéré?
Alors qu’il
tente de prendre une décision sur la suite de son voyage, il remarque Jennifer
devant lui se mordillant la lèvre inférieure, geste nerveux qui lui dit quelque
chose. Il se lève d’un bond, la pointant du doigt :
— Batgirl c’est
toi! accuse-t-il, sûr de lui. Je te reconnais maintenant, sans le masque et le
costume, et tu as même déguisé ta voix quand tu m’as parlé en anglais. Bravo! À
quoi joues-tu au juste, baptême? Je parie que tu m’as menti sur tout depuis le
début.
— Calme-toi, on nous regarde.
— Que je me calme! Tu m’as volé! VOLÉ! Rends-moi ce qui m’appartient tout de suite ou je te traîne à la sécurité par le collet.
— OK, OK, tiens, voilà ton portefeuille. Je n’ai rien pris, sauf l’argent pour payer ton repas, désolée. Ne m’en veux pas, j’étais venue pour découvrir à quel genre de personne j'avais affaire, j’ai agi sous l’impulsion. Je n’avais pas planifié de te détrousser, mais j’espérais que ça te pousserait à partir plus vite en oubliant Corinne. En te voyant apitoyé sur ton sort dans le hall, j’ai eu des remords. Je ne suis pas une mauvaise personne, tu sais.
— Calme-toi, on nous regarde.
— Que je me calme! Tu m’as volé! VOLÉ! Rends-moi ce qui m’appartient tout de suite ou je te traîne à la sécurité par le collet.
— OK, OK, tiens, voilà ton portefeuille. Je n’ai rien pris, sauf l’argent pour payer ton repas, désolée. Ne m’en veux pas, j’étais venue pour découvrir à quel genre de personne j'avais affaire, j’ai agi sous l’impulsion. Je n’avais pas planifié de te détrousser, mais j’espérais que ça te pousserait à partir plus vite en oubliant Corinne. En te voyant apitoyé sur ton sort dans le hall, j’ai eu des remords. Je ne suis pas une mauvaise personne, tu sais.
Marin prend le
portefeuille qu’elle lui tend et s’empresse d’en vérifier le contenu, encore
incrédule devant tant d’insolence. Apparemment il ne peut rien croire de ce que
cette fille lui a raconté.
— Et pourquoi
déployer tant d’efforts pour m’éloigner d’elle? Je croyais qu’elle était ton
amie.
— En vérité, je
n’ai peut-être pas été tout à fait honnête avec toi.
— Tu parles!
—
Comprends-moi, tu arrives à un très mauvais moment dans sa vie, elle ne va pas
bien du tout, et lorsqu’elle est arrivée à Toronto il y a près de deux ans, tu
l’avais beaucoup blessée en la rejetant comme tu l’as fait. J’ai pensé que ce
n’était pas une bonne idée qu’elle te revoit maintenant, alors qu’elle…
— Qu’elle quoi?
Et je ne l’ai pas rejetée, pas vraiment. Et puis, comment ça et elle ne va pas
bien? Explique-toi bon sang!
— Oui, j’y
arrive. Franchement elle ne m’avait pas dit que tu pouvais te montrer si
irritable. Elle me décrivait un garçon gentil comme tout, doux et attentif,
patient, calme, posé et généreux. Misère, elle ne te reconnaîtrait plus!
— Tu me
réponds, oui?
— OK. Elle
traverse une mauvaise passe dans sa vie, et elle n’aimerait pas que je t’en
dévoile davantage. Alors, torture-moi si tu veux, je ne t’en révélerai pas
plus.
— Est-elle même
au courant que je cherche à la joindre?
— Eh bien non,
j’ai gardé ça pour moi, je croyais que ça ne ferait qu’envenimer les choses
pour elle.
— Toute une
amie! Elle n’apprécierait pas que tu lui caches des choses comme ça.
— Pour ça, tu
as tout à fait raison. Voilà pourquoi elle n’en saura rien.
— Comment
oses-tu t’interposer comme ça entre nous! Tu me mets en lien avec elle tout de
suite ou je te traîne jusqu’au poste de sécurité et je t’accuse de vol. Ils
n’ont pas à savoir que tu m’as remis mon bien après tout, moi aussi je peux jouer
à retenir des informations.
Jennifer le
considère un instant, tentant d’évaluer s’il bluffe ou non. Que faire?
Voici
les choix pour la suite :
a) Jennifer
abdique et Marin arrive enfin à rencontrer Corinne, mais rien ne pouvait le
préparer au choc qu’il l’attendait en la voyant.
b) Jennifer s’entête à ne rien dire. Elle croit vraiment protéger Corinne et Marin hésite à mettre ses menaces à exécution, plus frustré que jamais. Il opte pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
c) La jeune femme abdique devant l’insistance de Marin. Ce dernier joint finalement Corinne au téléphone pour apprendre qu’elle n’est pas du tout disposée à le revoir, comme Jennifer le croyait. Comment regagner sa confiance?
b) Jennifer s’entête à ne rien dire. Elle croit vraiment protéger Corinne et Marin hésite à mettre ses menaces à exécution, plus frustré que jamais. Il opte pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
c) La jeune femme abdique devant l’insistance de Marin. Ce dernier joint finalement Corinne au téléphone pour apprendre qu’elle n’est pas du tout disposée à le revoir, comme Jennifer le croyait. Comment regagner sa confiance?
Chapitre VII : La contre-attaque
Jennifer et
Marin se regardent en chiens de faïence, sans qu’aucun des deux n’ose rompre le
silence. La blonde cède la première.
— C’est hors de
question. Débrouille-toi par toi-même.
Le jeune homme
recule sur son siège, accusant le coup. Il a vraiment cru que Jennifer – alias
Batgirl - l’aiderait à joindre sa chère Corinne qu’il n’a pas revue depuis
des lustres. Mais tous ses espoirs tombent à l’eau, puisqu’il ne dispose
d’aucun autre moyen de la joindre que cette tête de mule devant lui.
Ne reste plus
qu’à la traîner au poste de sécurité comme il l’a promis. Après tout, cette
sale voleuse a osé lui dérober son portefeuille, simplement pour lui bloquer
l’accès à celle qui représente peut-être l’amour de sa vie. Elle ne mérite que
ça : le cachot! Mais de quoi se mêle-t-elle enfin?
Batgirl continue
de le défier du regard, anticipant la suite. Devant son hésitation, un sourire
narquois se profile sur le visage de la grande blonde. Elle ne le croit pas
capable de mettre ses menaces à exécution, et cela suffit à le convaincre. Déjà
qu’Élyse, son ex, l’a traité de carpette ambulante, il ne va pas plier
maintenant devant cette détraquée. Il se lève d’un bond et, devant le regard
incrédule de son interlocutrice, saisit le sac à dos de Batgirl et s’enfuit en
courant vers la toilette des handicapés, la seule qui lui permette de s’isoler.
Elle n’aura qu’à attendre dehors pour le récupérer, ou encore à appeler la
sécurité!
Une fois la
porte verrouillée derrière lui, il fouille les pochettes du sac à dos, certain
d’avoir vu sa propriétaire y ranger son cellulaire. Elle doit assurément
détenir le numéro de sa bonne amie dans sa liste de contacts, non?
Enfin, il
localise l’objet de ses recherches à l’intérieur, ferme les yeux en inspirant
profondément avant d’appuyer sur le bouton « marche ». Si près du
but. Dans quelques secondes, il parlera peut-être à sa dulcinée directement,
sans intermédiaire. Il éprouve le besoin de lui confier tant de choses.
Mot de passe
requis. Aille! Retour à la case départ. Il lui faut briser le code.
Entre-temps, la furie frappe à la porte des toilettes, horrifiée. Tant pis, il
lui doit bien ça. Quelle amie cette Jennifer, au moins se montre-t-elle loyale,
d’une façon complètement démentielle, s’entend.
Marin connaît
heureusement un pirate informatique plutôt doué en la personne de son ami
Jean-Marc. Il arriverait sans doute à lui porter secours, mais il se trouve au
boulot à cette heure, au boulot toute la fin de semaine. Il pose l’appareil
volé et s’empresse de communiquer avec son copain. Un, deux coups, trois coups,
et Jean-Marc répond.
— Man, j’suis
occupé là.
— J’M, faut que
tu m’aides. J’ai un cellulaire verrouillé avec un mot de passe et il me faut
absolument l’ouvrir. Peux-tu faire quelque chose?
— Qu’est-ce qui
t’arrive? T’as oublié ton code ou quoi?
— Non, il ne
s’agit pas du mien et c’est une longue histoire. Alors tu me dépannes?
— En temps
normal, oui c’est sûr, mais au téléphone ça prendrait trop de temps et j’suis
pas disponible dans la minute. J’peux rien faire à distance. Apporte-moi ça et
demain, j’viens chez toi et j’arrangerai tout ça mais là…
— J’t’en pris,
J’M. Je t’appelle en désespoir de cause.
— C’est à cause
de Corinne? Tu l’as rencontrée?
— Oui, non, et
c’est la seule façon que j’ai imaginée pour la joindre.
— Mouais.
Quelle sorte d’appareil?
Marin lui
décrit ce qu’il tient en main, Jean-Marc lui lance quelques pistes, puis il doit
raccrocher. Au moins Marin dispose maintenant d’une marche à suivre grossière.
Il ouvre l’appareil et fait l’inventaire de ses composantes. Ça ne l’aide pas
beaucoup, mais il y déniche une carte mémoire pour entreposer les données :
musique, photos possiblement? Il la retire de son emplacement et l’installe
dans son propre cellulaire, notant au passage que les coups à la porte ont
cessé.
Il furète le
plus rapidement possible le contenu de la carte, tentant de trouver des
informations valides, des données, des traces de communications : rien. Il ouvre
le dossier de photos, réticent à entrer ainsi dans l’intimité de Jennifer, il
sent qu’il va trop loin. Mais elle lui a forcé la main, se serine-t-il, il se
voit donc dans l’obligation de cribler la galerie de photos dans l’espoir de
tomber sur Corinne. Peut-être y découvrira-t-il des indices? Il en doute, mais
il n’a plus rien à perdre.
Après une
dizaine de minutes, il réalise qu’il s’est fourvoyé : il avait encore beaucoup
à perdre, comme toutes ses dernières illusions. Son cœur se serre en zoomant
sur la photo devant lui. Tout sourire, sa Corinne, splendide et lumineuse comme
toujours, et la date ne laisse aucun doute sur la situation. Sauf qu’elle n’est
pas, n’a jamais été sa Corinne, et que si Jennifer a dit vrai, son cœur appartient
désormais à un certain Liam. Très éloquent pense-t-il, un sanglot l’étranglant
tout à fait. Il a cru, ou espéré sans doute, qu’elle lui avait menti sur tout,
mais il détient la preuve du contraire sous les yeux.
Il se contente
de replacer la petite carte mémoire et range le cellulaire dans le sac de
Jennifer, met son propre sac sur son dos et sort du cabinet… pour se retrouver
face à un comité d’accueil des plus rébarbatifs! Le chef de la sécurité auprès
duquel il a logé une plainte plus tôt l’attend de pied ferme, lui, un collègue
ainsi qu’une Jennifer assez fière d’elle.
— Le voilà,
l’homme qui a volé mon téléphone.
— Tiens le
voilà ton téléphone et fiche-moi la paix, articule Marin, trop choqué pour
essayer de s’en défendre.
— Monsieur
Gouin! Vous admettez avoir volé cette dame? Suivez-nous au poste de sécurité.
— Pas question.
Cette fille est la Batgirl dont je vous ai parlé ce midi, elle m’a volé mon
portefeuille. Je lui ai rendu la pareille. Il fallait bien que quelqu’un s’en
charge.
— C’est
complètement ridicule, tente Jennifer.
Marin choisit
ce moment pour s’emporter pour de bon, péter les plombs, disjoncter totalement.
Il n’y a rien de pire qu’un homme qui refoule constamment ses émotions pour les
laisser éclater au grand jour au moment le moins opportun. Il se met à injurier
Jennifer et les membres de la sécurité, en tenant des propos qui auraient fait
rougir de honte sa pauvre mère, un doux euphémisme. Jennifer renchérit, piquée
au vif, en sautant à la gorge de Marin. Le chef de la sécurité tente
d’intervenir alors que son collègue maîtrise difficilement la jeune femme
déchaînée, mais Marin redouble d’ardeur, se débat, assène un coup de coude au
nez d’un des agents tout en déversant son venin sur tous ceux qui l’entourent,
se montrant « très peu satisfait du service offert par son département », si on
traduit librement et poliment les termes employés.
En un temps
record, les deux trouble-fête se retrouvent maîtrisés, dépouillés de leur badge
de visiteur, rayés de la liste des participants du Comicon et escortés hors de
l’édifice par quelques tas de muscles sur pattes qui n’attendent qu’un geste
pour ajouter le traditionnel botté bien placé.
Et la journée
n’est pas finie.
Voici les choix pour la suite :
a)
Attristé par sa dernière découverte, Marin retourne à l’hôtel pour plier bagage
et rentrer à Montréal avec un constat d’échec. Mais Jennifer est toujours
rongée de remords et intervient pour lui remonter le moral.
b)
Plus déprimé que jamais, Marin dégotte un petit bar miteux pas très loin du
Comicon dans l’espoir de noyer sa peine. Mais il tombe sur une vieille
connaissance qu’il n’aurait jamais pensé rencontrer à cet endroit.
c)
Après un moment de remise en question, Marin réalise qu’il ne peut abandonner
l’idée de revoir Corinne parce qu’elle est en couple. Il a toujours besoin de
lui dire ce qu’il a sur le cœur et rien de cela n’a changé. Il s’explique
finalement avec Jennifer et la convainc de sa bonne foi.
Chapitre VIII : Revirement
Affalé sur la
banquette arrière d’un taxi torontois, Marin réalise mal ce qui lui arrive.
Cette sacrée tête de mule de Jennifer lui a valu l’expulsion du Comicon, à la
suite de quoi il a déambulé dans les rues jusqu’à un petit bar d’allure peu
recommandable. Il avait crû entendre l’importune l’interpeller de loin mais ne
s’était pas retourné, elle lui avait causé assez de problèmes.
En apercevant
l’établissement douteux, Marin pense aussitôt à un repaire de gangsters, avec
ses vitres sales aux néons brisés, ses trottoirs jonchés de détritus, et
quelques colosses en noir postés non loin de l’entrée. Génial! se dit-il en s’y
dirigeant d’un pas assuré, à la fois par curiosité et pour y chercher les
ennuis, peu importe. S’asseoir au bar et enfiler quelques pintes derrière la
cravate lui semble tout indiqué.
Il passe sa
commande au barman aussitôt installé sur un banc haut perché, dos à la salle,
et se met à siroter son breuvage plutôt tiède et insipide, se demandant si sa
journée peut encore empirer.
Ses pensées
s’interrompent lorsqu’une serveuse plutôt maladroite choisit justement son
petit coin pour venir y poser le contenu de son cabaret et patatras! un verre
encore à moitié plein se déverse sur le pantalon de Marin.
— Et merde!
lancent à l’unisson la serveuse et l’arrosé.
Ils se tournent
l’un vers l’autre et se dévisagent, interdits.
— Élyse?
— Marin!
— Mais que
fais-tu ici? demande-t-il à son ancienne petite copine, celle qui l’a bêtement
plaqué pour un avenir meilleur.
— Et toi? Tu ne
sors jamais de Montréal!
— Toi d’abord.
Comment as-tu pu atterrir ici, dans ce bar paumé comme serveuse? Et puis bof,
peu m’importe au fond.
— Marin!
Vraiment? Ce qui advient de moi te laisse indifférent? Comme tu as changé. Le
Marin que je connaissais aurait tout de suite noté ma détresse et offert son
aide pour me sortir du pétrin, mais toi évidemment tu t’en fous. Alors là
bravo!
— Bon, raconte,
jette-t-il en poussant un grand soupir désespéré.
Elle se
rapproche en prenant soin de regarder autour d’eux comme si elle craignait
d’être entendue, ce qui est peu probable avec la musique ambiante gênant toute
conversation normale.
— J’ai commis
une grosse bêtise. J’ai rencontré quelqu’un après t’avoir quitté, un homme qui
m’a promis mer et monde si je pouvais seulement lui faire confiance et le
suivre en Ontario où il allait démarrer une chaîne d’hôtel. Et…voici l’hôtel en
question, ajoute-t-elle d’un air dépité. Il m’a complètement étourdie avec ses
promesses en l’air. Si tu savais combien j’ai honte de t’avoir quitté comme je
l’ai fait pour un vaurien pareil, comme je regrette. Je tenais la perle rare à
mes côtés et je n’ai pas su l’apprécier.
Misère! Les
cils battants, les yeux humides, la voix chevrotante, le grand jeu quoi. Marin
dégluti bruyamment : il n’aime pas la voir souffrir, malgré toute la peine
qu’elle lui a causée. Sauvé par la sonnerie du cellulaire.
— Content que
tu t’en rendes compte, se retient-il à peine de lui lancer plutôt que le « Bien
fait pour toi » qui le démange. Excuse-moi j’ai un appel. Ici Marin.
— Marin?
C’est…grrrrrch.
— Excusez-moi,
je n’entends rien. Qui parle?
— C’est Corinne!
C-O-R-I-N-N-E.
— Corinne!
Ti-pain chaud! Attends-moi un peu, j’ai du mal à t’entendre.
Il jette un œil
vers Élyse qui tente toujours d’éponger la bière répandue sur le comptoir et
sur le jean de Marin, l’air inquiet. Va-t-il une fois encore se retrouver
coincé entre ces deux femmes comme jadis sans arriver à se décider? Absolument
pas! Inspirant un bon coup, il s’adresse à Élyse en gardant une main sur
son portable.
— Élyse, il
faut vraiment que tu quittes cet endroit, que tu repartes pour Montréal.
Appelle ton père, je te parie qu’il viendra te chercher si tu le lui demandes
en toute humilité. Mais franchement ça demeure ta décision. Maintenant je dois
y aller. Bonne chance.
Et il s’élance
vers la sortie en laissant Élyse bouche bée, son petit cabaret serré contre sa
poitrine. Elle s’en sortira, elle est simplement trop fière pour utiliser ses
ressources et il lui faudra bien apprendre à piler sur son orgueil tôt ou tard.
Une fois
dehors, il s’éloigne à bonne distance du bar lugubre et de son ex avant de
reprendre l’appareil, exalté et fébrile.
— Corinne,
c’est bien toi?
— Oui! Enfin je
t’entends mieux. J’ai su par Jenny que tu visitais Toronto ce weekend, quelle
coïncidence que vous vous soyez rencontrés à cette conférence, non?
— En effet, lui
répond-il en grinçant des dents. Ainsi cette Jennifer a fini par retourner sa
veste et contacté Corinne, mais pourquoi donc? Une vraie girouette!
— Super. Quand
dois-tu repartir? J’aurais bien aimé te voir, si tu en as envie bien sûr. Nous
aurions pu souper ensemble si tu n’as pas de plan.
— Oui oui, ça
me plairait beaucoup. Mais ça ne risque pas de poser un problème pour Liam?
— Liam? Je ne
vois vraiment pas comment ça pourrait lui poser le moindre problème. Tu es
drôle! Ça te dirait de venir chez moi, je ne sors pas beaucoup dernièrement, tu
comprends.
— OK, bien sûr,
si tu préfères. Donne-moi l’adresse et l’heure et j’arrive.
Quelle folle
journée! C’est enfin ragaillardi qu’il hèle un taxi, repasse à l’hôtel pour se
changer puis emprunte un autre transport en direction de chez Corinne, à une
demi-heure de voiture de là.
Durant tout le
trajet, il angoisse en se remémorant toutes ses péripéties et surtout à l’idée
de la revoir, elle, mais aussi son nouveau copain, ce dénommé Liam qui lui a
ravi son cœur, ne laissant guère d’espoir au jeune homme. N’empêche, il lui faut
la revoir, savoir qu’elle va bien, qu’elle est heureuse.
Enfin, il se
présente devant la porte et panique en songeant qu’il aurait dû apporter des
fleurs, des chocolats, quelque chose. Au moins une bouteille de vin ou de
bière, quand même.
— Mais non, pas
d’alcool idiot! se morigène-t-il juste comme la porte s’ouvre sur celle qu’il a
tant cherchée, magnifique, resplendissante et épanouie comme jamais.
— Marin, te
voilà! Elle s’approche pour l’embrasser, l’invitant à entrer d’un geste.
Le jeune homme
ne cesse de la contempler, admiratif. Ses cheveux châtains mi-longs tombant sur
ses épaules mettent en valeur son visage carré aux joues à fossettes, aux
lèvres pleines et aux superbes yeux bleu-violacé. Aussi splendide que dans ses
souvenirs.
— Corinne,
comme je suis content de te revoir enfin. Et mes félicitations! Je vais
rencontrer ton conjoint?
— Mon conjoint?
Comment, Jenny ne t’a pas expliqué? Je n’ai pas de conjoint.
— Mais, mais
alors…qui est le papa?
— Y’a pas de
papa.
— Pas de papa?
— Non, pas de
papa. Oh, si tu fais référence au géniteur, il n’est pas dans ma vie et ne le
sera plus jamais, je t’assure!
— Tu veux dire
que Liam, c’est…
Pour toute
réponse, Corinne pointe son ventre arrondi par une grossesse bien avancée.
Marin doit s’asseoir pour encaisser le choc. Sur les photos de Corinne enceinte
qu’il a entrevues, il n’y avait jamais de petit ami mais il a tenu la chose pour
acquise, naturellement. Cette Jennifer l’a induit en erreur. Ça change tout.
Voici les choix pour la suite :
a) Après
l’effervescence des premiers moments, Marin vit un certain désenchantement. Il
ne s’était pas attendu à ce que Corinne, s’il la retrouva, ait un enfant. Il ne
se sentait pas prêt pour cela. Mais, toujours chevaleresque et généreux, il lui
offre son amitié et son aide la plus sincère pour la suite, elle en aurait
besoin.
b) Marin
songe aussitôt que cet enfant aura besoin d’un père et Corinne d’un homme dans
sa vie. Il se croit apte à la tâche mais ignore comment aborder le sujet avec Corinne
sans la brusquer.
Chapitre IX : Retrouvailles
Assis dans le
salon de Corinne, Marin tente de retrouver ses esprits.
— Tu vas élever
ton enfant toute seule?
— Comme une
grande!
— Et comment
est-ce que tu entrevois ça? Tu auras certainement besoin d’aide!
— J’ai déjà
beaucoup d’aide, tu sais. Ma mère viendra assister à l’accouchement et restera
chez moi quelques semaines. Jennifer s’y pointera peut-être, elle ne sait pas
trop comment m’aider, mais souhaite m’offrir un soutien moral. J’ai déjà eu mon shower et j’ai reçu tout ce
qui me sera nécessaire, j’ai lu des tas de livres, je me suis abonnée à des
forums de mamans, j’ai même enrôlé une marraine d’allaitement pour m’aider.
J’ai assez d’économies, des REER et bientôt des REEE. Ça te va?
— Oh désolé, je
ne voulais pas sous-entendre que tu n’y arriverais pas, tu es la fille la plus
autonome et débrouillarde que je connaisse. La plus intelligente aussi.
— Merci, ça
fait plaisir.
— N’empêche, ça
doit chambouler toute ton existence, attendre un petit bébé.
— Eh oui, mais
je suis prête. Dis donc, tu as pris du muscle toi! Tu as commencé à
t’entraîner?
— Oui, depuis
quelques mois.
Marin songe à
Élyse qui n’a même pas remarqué. Rassurant sur les décisions qu’il a prises,
somme toute!
— Tu aimerais
boire quelque chose?
— Ce que tu
prends.
— Du jus de
canneberge, vraiment?
— Délicieux.
— Je garde
aussi de la bière pour les invités.
— Le jus sera
parfait. J’ai eu une grosse journée!
Corinne se
dirige en se dandinant vers la cuisine, Marin opte pour l’y suivre, incapable
de la laisser sortir de son champ de vision une seconde. Il observe les lieux,
chaleureux et invitants (sans une once de jaune sur les murs!). Le salon de
style contemporain a été aménagé dans l’esprit de convivialité et non pour
mettre y la télé en valeur; il aime bien et ça correspond à ce qu’il a tenté de
créer chez lui avant son départ, avec son coin lecture en plus. La cuisine,
elle, lui semble encore plus gaie et rafraîchissante, à l’image de la
propriétaire : colorée, harmonieuse et un brin désordonnée.
La jeune femme
leur sert à boire et ils restent sur place, Corinne ayant remarqué l’intérêt de
Marin pour sa collection de théières. Marin tente de trouver quelque chose
d’intelligent à raconter, puisque Corinne tient à écarter toute discussion sur
la venue de son enfant. Ça doit tout de même demeurer le sujet central dans sa
vie présentement, non? Il n’est d’ailleurs pas tout à fait remis du choc. S’il
avait imaginé ça…
Ils sirotent
leur breuvage en silence, se jetant des coups d’œil de temps à autre, des
sourires timides, Marin ne sachant pas quoi dire d’autre. Corinne casse la
glace.
— Tu es
toujours avec la même copine? Élyse, si je me rappelle?
— Nous nous
sommes laissés il y a quelques mois. En vérité, c’est elle qui m’a laissé
et ce fut la meilleure chose qu’elle m’ait apportée! Ça m’a poussé hors de ma
zone de confort, ça m’a réveillé. Je me sentais comme un automate, sur le
pilote automatique.
— J’ai déjà
vécu ça. Donc la rupture n’a pas été trop difficile pour toi?
— Tu parles!
Marin entreprend
de lui narrer ses mésaventures depuis sa rupture, là où son existence a repris
soudain un tout nouveau sens. Mais il a tant attendu ce moment, une fois lancé,
il opte donc pour tout lui raconter : comment il a regretté d’avoir répondu
froidement à son invitation à leur dernière rencontre, comment par la suite
elle s’est évaporée, lui soustrayant toute possibilité de s’amender. Il lui
relate enfin ses péripéties pour la retrouver à Toronto, en passant par
Jean-Marc, Jennifer, le Comicon, les frasques de sa bonne amie, le cellulaire,
Élyse dans le bar miteux et enfin, jusqu’à ce moment, avec toute la candeur et
l’humilité dont il sait faire preuve.
— Voilà, tu
connais toute l’histoire. Je tenais à ce que tu saches que tu as toujours
occupé une place importante dans mon cœur et que, peu importe où tu en es dans
ta vie, j’avais besoin de te savoir heureuse. Pff! J’espère que tu ne vas pas
penser que je suis un détraqué et appeler la police maintenant, mais si tu
préfères que je parte, je m’exécute à l’instant.
Il attend le
verdict. Corinne s’est tu tout au long de son exposé, l’a laissé s’exprimer
sans l’interrompre, sans montrer une quelconque émotion. Elle déglutit, pose
son verre sur le comptoir, puis se dirige vers le salon.
— Il faut que
je m’assoie, je vais m’écrouler.
— Bien sûr,
suis-je bête. Je te tiens debout dans la cuisine depuis une demi-heure avec mes
histoires débiles, j’aurais dû penser à tes besoins. Excuse-moi.
— Mais non, ce
n’est pas ta faute. J’ai juste eu un petit étourdissement, ça arrive.
— Désolé!
— Veux-tu
arrêter de t’excuser! Tout ce que tu viens de partager avec moi, tout ce que tu
as fait pour me retrouver, c’est la plus belle chose que j’aie entendue de
toute ma vie. Je ne me serais jamais imaginée que quiconque, toi en
particulier- et ne le prends pas mal- puisse se donner autant de mal pour moi.
— Pas
d’objection, j’ai manqué de courage la majeure partie de ma vie, aussi c’était
important pour moi d’aller au bout de cette aventure-ci, même si je risquais
d’être désillusionné.
— Tu croyais
vraiment que je vivais en couple?
— Bien sûr.
— Cette
Jennifer, quand même! Ne lui en veut pas, elle tentait de me protéger, à sa
manière complètement farfelue. Et tu es tout de même venu?
— Comme je t’ai
dit, je voulais m’assurer que tu étais heureuse. Une photo peut mentir. Je
tenais à te révéler toute la vérité sur notre dernière soirée, sauf que je
n’aurais peut-être rien dit devant ton amoureux!
— Ça aurait
sûrement été une sage décision.
Ils
s’esclaffent, retrouvant leur complicité d’antan.
— Et
maintenant?
— Maintenant
quoi?
— Corinne, y
a-t-il une place, quelque part, pour moi dans ta vie?
Ses mains se
sont mises à trembler au moment où il a posé la question, pourtant sa voix,
elle, n’a pas fléchi. Il contemple Corinne sans ciller, celle qu’il a tant
cherchée, celle qui, comme il le constate à l’instant, lui donne toujours des
papillons au ventre seulement en souriant avec ses charmantes fossettes, celle
qui peut en un mot le combler ou le démolir.
Voici les choix pour le tout dernier
chapitre :
a) Corinne
se jette à son cou, l’embrasse et lui demande de rester jusqu’au lendemain. Il
aura la place qu’il voudra bien occuper, considérant la distance et tous les
chamboulements à venir.
b) Elle demande
à Marin de l’écouter d’abord raconter ce qu’elle a vécu de son côté depuis
qu’elle habite à Toronto, après il pourra décider s’il veut toujours d’elle,
mais il risque d’être déçu.
c) Autre
réponse (surprise!).
Chapitre X : Surprise!
Juste au moment
où Corinne allait répondre à la question de Marin (Alors, y a-t-il une place
pour moi dans ta vie?), elle perd ses eaux.
— Qu’est-ce qui
se passe?
— Oh mon Dieu! Je viens de crever mes eaux. Je dois appeler l’hôpital pour savoir quoi faire.
— Tu as mal?
— Non, pas vraiment. J’ai senti des contractions toute la journée, mais ça dure depuis deux semaines. Beurk! Je suis toute mouillée, et le plancher aussi.
— Ça va, oublie le plancher, je m’en occupe. Téléphone vite à l’hôpital, il faut sûrement que tu t’y rendes maintenant.
— OK, j’appelle de ma chambre, je vais me changer. Tu trouveras la vadrouille dans ce placard, si tu veux me donner un coup de main en attendant.
— Pas de problème.
— Oh mon Dieu! Je viens de crever mes eaux. Je dois appeler l’hôpital pour savoir quoi faire.
— Tu as mal?
— Non, pas vraiment. J’ai senti des contractions toute la journée, mais ça dure depuis deux semaines. Beurk! Je suis toute mouillée, et le plancher aussi.
— Ça va, oublie le plancher, je m’en occupe. Téléphone vite à l’hôpital, il faut sûrement que tu t’y rendes maintenant.
— OK, j’appelle de ma chambre, je vais me changer. Tu trouveras la vadrouille dans ce placard, si tu veux me donner un coup de main en attendant.
— Pas de problème.
Le calme
apparent de Corinne le rassure pour l’instant, mais il sait que ça n’est qu’une
façade. Marin n’a aucune idée de ce qu’il doit faire à présent, mais au
minimum, il restera auprès de Corinne jusqu’à ce que sa mère puisse le relever,
tout en craignant que sa belle ne veuille pas de lui. Aussi bien rester ouvert
et disponible, sans s’imposer. Chose sûre, il ne la laissera pas tomber comme
deux ans plus tôt, cette fois elle pourra compter sur lui.
Il essuie la
flaque d’eau sur le plancher du salon, et suit les traces jusqu’à la chambre où
Corinne s’est réfugiée avec son téléphone. Il entend des bribes de
conversations, sans en distinguer les détails. Le ton de voix de la jeune femme
se fait de plus en plus aigu, paniqué. Il retourne rincer et remiser la
vadrouille, en espérant trouver comment se rendre utile. Corinne sort enfin de
la salle de bain quelques minutes plus tard, changée, et affichant un air de
bête traquée. Elle regarde Marin sans mot dire, la bouche béante.
— Et bien, que
t’a-t-on dit à l’hôpital?
— Il faut y
aller.
— Maintenant?
— Oui. Ma
valise est presque prête. Viens m’aider à prendre les dernières choses, tu
devras m’y conduire.
— Compte sur
moi.
N’ayant aucune
préparation pour ce qu’il s’apprête à vivre, Marin n’ose émettre le moindre son
dans la voiture, tandis que Corinne se contorsionne sur le siège d’auto, d’une
contraction à l’autre. Elle se concentre sur son propre corps, les yeux
fermés, dans sa bulle. Il aurait tant aimé pouvoir l’aider! Marin la voit
afficher un calme et une sérénité extraordinaires entre les contractions, ce
qui décuple son admiration pour elle.
Fort
heureusement, Corinne a déjà imprimé un itinéraire pour se rendre à l’hôpital,
en prévision que sa mère l’y conduise. Il se contente de suivre les indications
en gardant un œil inquiet sur Corinne, qui s’en sort pourtant admirablement
bien.
Une fois à
l’hôpital tout se passe très vite. Après l’admission, Corinne lui intime de la
suivre, et juste comme ça, il reçoit son droit d’entrer à la chambre de naissance
sans que personne ne pose de question. Corinne n’a même pas appelé sa mère,
Marin ignore ce qu’elle attend pour le faire, mais ne se plaint pas du rôle
qu’on lui assigne d’office.
Une infirmière
leur montre la chambre, et explique à Marin qu’il pourra masser sa conjointe
sur la chaise prévue à cet effet, ou l’aider à s’installer sur le ballon, ou
encore dans le bain. Corinne ne relève pas l’erreur, et Marin se demande si c’est
à dessein ou si elle tente tout simplement de garder ses forces en se fermant
sur elle-même. Ensuite, il n’a plus guère de temps pour philosopher.
Sa belle éprouve
des contractions de plus en plus douloureuses et rapprochées, aussi Marin se fait-il
un devoir d’aller au-devant des besoins de la jeune parturiente qu’il accompagne.
Il suit les conseils des infirmières qui passent de temps à autres, frictionne
son dos, la masse, lui essuie le front, marche à ses côtés en la soutenant
fermement lorsque les contractions la saisissent, et tout cela lui vient aussi
naturellement que d’aimer cette femme forte et magnifique. Tout son être se
concentre sur elle, sur son travail et sur la douleur qu’elle vit, tentant de
lui faciliter la tâche. Corinne quant à elle demeure sereine et en paix malgré
la situation précipitée, et arrive à gérer tous ces bouleversements dans son
corps.
Marin reste
derrière elle tout au long de la poussée, jusqu’à voir arriver la tête, puis le
corps du petit Liam. Il remercie le ciel d’avoir le temps de se composer une
expression neutre et assiste, l’œil humide, à l’émerveillement de Corinne
devant son nouveau-né. Contrairement à lui, elle a été préparée.
Marin devine
que déjà, un lien immuable se forge entre la mère et l’enfant à grands besoins,
un attachement qu’il ne pourra jamais espérer connaître avec Corinne. Mais
plutôt que de s’en attrister, la scène le fascine et l’émerveille. On lui
demande de couper le cordon ombilical, et après un regard vers la nouvelle
maman, il s’exécute. Il assiste enfin, plus ému que jamais, à la première tétée
de Liam. C’est certainement l’expérience la plus intense qu’il ait jamais vécu,
douce-amère et inoubliable.
Le personnel
s’affaire longuement auprès du nouveau-né et de la maman, puis lorsqu’ils peuvent
enfin souffler un peu seuls, Corinne s’ouvre à lui.
— Marin, je
suis heureuse que tu aies été là pour moi. J’avais espéré que ma mère
m’accompagnerait lors de mon accouchement, mais elle ne m’aurait pas laissée me
concentrer sur moi-même comme toi tu l’as fait. Et elle aurait voulu tout
diriger. Tu as été magnifique Marin. Merci.
— C’est toi qui
es magnifique. Et Liam…
— Est
trisomique, complète-t-elle. Je ne savais pas comment te le dire, quand tu m’as
posé cette question chez moi. Ça change la donne, hein?
— Corinne, je…
— Non, attends,
laisse-moi un peu t’expliquer, après tu comprendras mieux ma position.
Marin ne pipe
mot. Il se sent vidé, bouleversé, ému, amoureux, anxieux, effrayé. Son cœur en
ébullition, il attend qu’elle se confie, incapable d’exprimer une pensée
cohérente.
— Voilà.
Environ un an après mon déménagement à Toronto, j’ai rencontré quelqu’un de
bien. Un homme merveilleux de qui je suis tombée en amour. Il te ressemblait un
peu, doux, attentionné, mais taciturne. Nous avions projeté de nous marier,
nous venions d’emménager ensemble, lorsque je suis devenue enceinte. Ça
s’avérait une grosse surprise, mais une belle surprise. Samuel se montra
fou de joie, tout comme moi. Puis, il y a environ cinq mois, nous avons reçu la
nouvelle. Samuel l’a très mal pris, il souhaitait interrompre la grossesse,
mais je ne pouvais pas. Je l’aimais déjà. Et puis, on nous a expliqué comment
ça pourrait affecter nos vies si on le gardait, et j’ai décidé que je pouvais
accepter ces conditions, après avoir rencontré plusieurs familles dans la même
situation. Samuel n’était pas d’accord, et il m’a quittée après cela. Je sais
que je ne le reverrai jamais.
Elle prend une
pause; une larme sur sa joue. Marin tente de déglutir, mais sa bouche refuse
d’obéir. Corinne se montre encore plus courageuse qu’il ne l’a cru. Elle se
reprend une minute plus tard, contrôlant le frémissement dans sa gorge.
— Enfin, après
cela, j’ai fait mon deuil de la famille idéale que j’avais imaginée, et j’ai
concentré toute mon énergie sur mon enfant à venir. Je ne me sens pas prête
pour une relation amoureuse. Ça fait encore trop mal, j’éprouverai longtemps
des difficultés à accorder ma confiance aux hommes, peut-être. Mais ce que tu
as fait pour moi aujourd’hui, pour Liam, t’a déjà fait grimper de beaucoup dans
mon échelle de confiance. Simplement, j’ai besoin de me concentrer sur ma vie
avec mon fils. Et de ton côté, tu n’as certainement pas besoin de telles
charges sur les bras. Alors si nous pouvions demeurer bons amis, tout
simplement, ce serait merveilleux pour moi Marin.
Trop troublé
pour parler, Marin ne peut qu’hocher la tête en signe s’assentiment. Ça ne
correspond pas à ce qu’il a espéré, mais il comprend. Seigneur! Il comprend.
***
Un an plus
tard, au Comicon de Toronto, on voit arriver trois grands guerriers Jedi. Un
sosie de Luke Skywalker porte sur son dos un Yoda miniature aux longues
oreilles pointues et vertes, tandis que la femme Jedi manie avec agilité deux
sabrolasers. Marin, Corinne et Liam parcourent le salon en s’amusant, se
prêtant aux nombreuses sessions de photo qu’on leur impose; ils forment une si
belle petite famille! Au dîner, ils rencontrent Jean-Marc comme convenu, de
passage à la convention comme son ami. Jennifer aussi les rejoint, vêtue cette
année d’un costume Borg à la Seven of
nine. Ils passent un bon moment, discutant de choses et d’autres, riant aux
éclats, échangeant sur leurs découvertes du salon. Jean-Marc prend son ami à
part pour s’entretenir avec lui en privé.
— Man, tu vas
vraiment déménager à Toronto?
— Oui, c’est
certain. Je viens de signer un contrat de travail, je déménage le mois
prochain.
— Avec Corinne?
— Eh oui.
— Y’était
temps, man. J’suis un peu jaloux, tsé, le grand amour, une petite famille, le
p’tit a l’air de bien aller.
— Il va très
bien en effet, nous nous estimons très chanceux. Moi, je ne me suis jamais
senti aussi heureux. Tu sais, quand l’amour te choisit, il faut lui faire
honneur. Tu ne sais jamais combien de temps ça durera, un instant ou toute une
vie, alors profites-en, là maintenant. Moi je l’ai retrouvé, l’amour, après
avoir failli le perdre pour toujours. Je ne vais plus jamais le laisser filer
entre mes doigts, et je te conseille d’en faire autant, quand ça t’arrivera.
— Mouais.
Justement, la belle blonde, là, Jennifer, pense-tu que moi pis elle…
— J’M, touche
pas à ça! C’t’un paquet de trouble, cette fille-là.
— Mouias.
Mais déjà,
Jean-Marc ne l’écoute plus, sous le charme. Jennifer vient de lui lancer un de
ses sourires ravageurs, il n’a plus aucune chance.
« Toute résistance est
futile, vous serez assimilé. »
Fin!
Un très gros merci à tous ceux qui ont contribué à
l’histoire en votant, vous m’avez donné des ailes!
© Hélène Arsenault, 2012
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