Aujourd’hui je me
permets de recycler un texte parût l’an passé dans ma chronique du Sans papier
de la Teluq. Il s'agit d'une histoire vécue, bien personnelle et riche en
émotions. J’espère que vous aimerez.
Mon histoire commence
un 22 décembre, par une journée froide et ensoleillée. Enceinte de 9 mois, et
devant accoucher le 23, ça faisait bien trois semaines que j’avais des
contractions occasionnelles mais très espacées, m’avertissant que le petit
paquet cadeau arriverait probablement sous peu. Dans la journée du 22, je sens
de plus en plus de contractions mais pour de courtes périodes, puis elles
s’arrêtent. Je me dis « c’est sûrement pour aujourd’hui ». Durant un
bon douze heures, je reste à l’affut, je regarde l’horloge à chaque nouvelle
série de contractions, note leurs durées et espacements, etc.
Bien qu’à la deuxième
grossesse, je ne savais pas à quoi m’attendre, ayant été provoquée à la
première. Je ne connaissais pas les étapes de travail habituelles, et j’ai été
stressée toute la journée.
Le soir venu,
toujours la même chose, petites séries de contractions toujours très
irrégulières- 8-6-10 minutes- puis accalmies. Mon conjoint et moi nous consultons
à l’heure du dodo : « Qu’est-ce qu’on fait? » Je décide
finalement de l’envoyer se coucher, au moins qu’un de nous deux soit reposé un
peu, tandis que j’irais prendre un bain pour voir si ça calmerait les
contractions.
Je suis dans mon
bain, avec quelques contractions toujours aussi irrégulières, lorsque ça
commence à devenir plus douloureux. Je téléphone à l’hôpital au centre des
naissances pour leur expliquer la situation, mais on m’assure que j’ai encore
du temps. Néanmoins, j’insiste pour m’y rendre, puisque je trouve que les
contractions deviennent de plus en plus douloureuses.
Branle-bas de combat-
il est près de minuit à ce moment. On appelle grand-papa pour qu’il vienne
garder notre grande qui fait dodo à côté, et alors que mon conjoint s’habille
et attrape mon sac pour l’hôpital, moi j’enfile mon manteau d’hiver et mes bottes,
puis incapable de rester debout, je m’installe dans ma chaise berçante en
attendant mon beau-père, qui habite à une quinzaine de minutes de chez-nous.
Les contractions sont toujours aussi irrégulières, mais très douloureuses.
Enfin beau-papa arrive!
Je me lève aussitôt et me dirige avec empressement vers l’escalier pour me rendre
à l’auto tandis que mon conjoint donne quelques consignes à son père, mais
voilà qu’une bonne contraction m’attrape et la douleur me plie en deux, m’empêchant
de bouger. Je m’agrippe à mon conjoint, sur le point de tomber dans les
escaliers…puis ça passe. Ouf! Il est temps de partir. Je descends les escaliers
pour aller m’assoir dans l’auto. J’ai hâte d’être installée à la salle
d’accouchement de l’hôpital, sous surveillance médicale, et de pouvoir utiliser
le bain à remous, le ballon d’exercice et la chaise de massage pour mieux faire
passer le travail. Mais il était écrit dans les astres qu’il n’en serait rien.
A peine arrivée au
pied des escaliers, je sens une forte poussée entre les jambes, et j’ai
l’impression que le bébé est en train de sortir. Sur le coup, je me couche par
terre sur le tapis d’entrée insalubre. Mon conjoint accourt en m’entendant
m’écrier : « Le bébé est en train de sortir! » Il ôte mon
pantalon à la vitesse de l’éclair, et regarde mon entrejambe, consterné.
—Alors? Vois-tu la
tête?
—Non, on dirait la
poche des eaux!
—Ah bon?
—J’appelle le 9-1-1.
Évidemment, dans
cette position plus que précaire je ne peux plus me déplacer, même si tout est
très calme entre les contractions et que je ne ressens aucune douleur. Tout se
passe très vite dans ma tête : vais-je accoucher ici? dans une ambulance? ou
à l’hôpital? Du moins, une chance que ce soit arrivé avant que je ne sorte de
la maison, car j’aurais bien pu me retrouver à quatre pattes dans la neige, à
la Émilie Bordeleau, ou encore affalée sur le siège de la voiture…Mon conjoint
aurait été un peu distrait au volant quand même.
Il n’y a pas
grand-chose à faire en attendant les ambulanciers. Au téléphone, on me
conseille de ne pas pousser, conseil que je tente tant bien que mal de suivre.
Mais quand même, lorsque les contractions arrivent c’est très douloureux et
j’ai peur que le bébé sorte, juste là. Mon conjoint se tient près de moi et mon
beau-père ne sait plus où se placer!
Enfin on cogne à la
porte : arrivent deux policiers, l’équipe d’urgence la plus proche pour
venir nous donner un coup de main. L’équipe se compose d’une policière aguerrie
et d’un novice qui se faufile le plus loin de moi possible, verdâtre, regardant
n’importe où sauf vers la scène d’accouchement qui se déroule sous ses yeux. La
policière se poste devant moi en déplaçant mon conjoint, qui lui remonte dans
les escaliers, faute d’espace. Une personne au talkie-walkie lui donne des
instructions pour qu’elle me les répète, bien inutilement, car j’entends tout
de là où je me trouve.
—Dis à la madame que
tout va bien aller! répète une voix dans l’appareil.
—Ça va bien aller
Madame! dit la policière à mon adresse.
—Dis-lui de ne pas
pousser.
—OK. Madame, ne
poussez pas.
—Je fais mon
possible! réponds-je, les dents serrées.
Se présente ensuite
un superviseur des policiers, qui repousse mon conjoint un peu plus loin, s’accaparant
l’espace alors qu’il tente de se rendre plus utile que les autres, en vain. Un
peu plus tard (enfin!), les ambulanciers se pointent. À ce moment je me calme
un peu, les vrais secours sont là. Vous comprendrez que je n’ai rien contre les
policiers, mais vu la situation, j’avais besoin d’aide expérimentée. L’un des
ambulanciers remplace la policière, qui elle monte dans les escaliers et fait
remonter mon conjoint de plus belle. Je ne le vois plus, et personne n’a la
présence d’esprit de lui demander s’il aimerait se rapprocher. M’enfin.
Le deuxième ambulancier
entre et sort pour aller chercher du matériel, puis arrive encore un autre
superviseur des ambulanciers. Il y a de la voiture devant chez nous ce
soir-là! En plus, je suis affalée sur le pallier de l’entrée split
(environ six pieds par quatre, ça vous donne une idée!) alors je bloque
partiellement la porte qui ne peut que s’entrouvrir pour laisser passer une
personne à la fois, en plus d’un courant d’air polaire à -20°C. Les
ambulanciers tentent de me déplacer sur une civière pour m’emmener dans
l’ambulance, mais l’espace est trop restreint pour étendre la civière avec les
escaliers qui bloquent les mouvements. Disons que j’aurais pu choisir mieux
comme endroit pour m’écraser de tout mon long, mais encore, ça aurait pu être
pire!
Mon conjoint s’aperçoit qu’une autre voiture de police
est arrivée, on discute de la procédure à suivre pour nous accompagner à
l’hôpital. Enfin, l’ambulancier qui prend les choses en main suggère de me
transporter à bras dans une chaise en tissu. On installe le truc sous mon
postérieur, en jetant une couverture sur moi pour me garder au chaud durant le
déplacement. À ce moment, j’ai une autre contraction très violente, et ils
doivent me reposer. Je m’écrie : « Oh mon Dieu! Le bébé arrive! »
Mais à la fin de la
contraction, je me sens encore très sereine et calme, sans douleur aucune. J’ai
senti une forte poussée lors de la contraction mais c’est fini.
—On va devoir
accoucher sur place, m’annonce l’ambulancier à la fin de ma contraction.
—Oh! Mais ça va
maintenant, vous savez, je disais ça comme ça, on a sûrement le temps de se
déplacer.
Accoucher là dans le palier
d’entrée insalubre ne faisait pas du tout mon affaire!
—Madame, les femmes
ont des enfants depuis toujours, si vous pensez qu’il arrive vous devez avoir
raison.
—Mouais.
Tous se mobilisent ensuite pour m’installer un peu
mieux là où je me trouve, et apportent du matériel qui pourrait être utile.
L’ambulancier demande à mon conjoint de faire réchauffer des serviettes dans la
sécheuse pour recevoir l’enfant, et tout autour de moi on discute, on entre et
on sort, j’ignore tout ce qui se passe tant je suis concentrée sur ma propre
situation. Tout ce qui me préoccupe entre les contractions, c’est ma petite
fille de deux ans et demi qui dormait paisiblement un peu plus tôt dans sa
chambre, tout près, mais qui a dû être réveillée par les cris effrayants de sa
maman en travail. Je m’inquiète de son état d’esprit, et je demande à mon
conjoint comment elle va. Il me rassure, mon beau-père reste avec elle, il lui
tient compagnie et lui explique ce qui se passe, lui raconte des histoires,
puisqu’elle ne peut plus dormir. Je me sens mieux qu’il soit là pour elle- et
elle pour lui!
L’ambulancier profite ensuite de mes contractions pour
tenter de tirer sur la poche des eaux qui n’est pas encore crevée et qui lui
bloque l’accès au bébé. Il tente d’introduire ses doigts lors de mes poussées
pour trouver une prise, mais ça fait très mal. Je le lui dis.
—Mais qu’est-ce que vous faites là? Ça fait mal!
—Ça va, Madame, ça va.
Bon, je n’en tirerai rien. Il me fait mal mais j’ai
confiance en ses compétences, il sait ce qu’il fait. Il s'agit une espèce de
complication en obstétrique, et ça rend son travail plus ardu. On appelle ça naître
coiffé, comme Napoléon paraît-il.
Maintenant que nous avons décidé de demeurer sur
place, je peux enfin pousser à mon aise. Durant mes contractions, l’une de mes mains
s’agrippe à une marche d’escalier tandis que l’autre attrape la chose la plus
proche qu’elle trouve sur son chemin. Je réalise plus tard qu’il s’agit du
mollet d’un des policiers qui se tient près de ma tête. Il me regarde et me dis
d’une voix nerveuse : « Ne vous gênez pas Madame, je suis là pour
ça! ». Je n’arrive pas à lui dire qu’il pourrait bien laisser la place à
mon conjoint, je suis trop étourdie et dépassée par les événements. Comment se
fait-il que personne ne pense à faire venir mon conjoint en haut des escaliers?
Il y a simplement trop d’observateurs dans la maison. Dehors aussi.
Je pousse à peine et enfin, la poche des eaux crève et
la tête peut sortir. L’ambulancier me lance : « Une dernière poussée,
et les épaules passent. » C’est tout ce que je voulais savoir. Je pousse
une dernière fois, et le miracle de la vie se produit.
Je prends une petite pause ici, c’est trop émouvant. Rien
que de m’en rappeler, j’en ai encore les larmes aux yeux.
OK. Me revoilà.
Elle ne pleure pas, je suis inquiète. Je suis bien
consciente que les conditions sont loin d’être idéales à un accouchement, et
que l’ambulancier n’a pas sous la main les instruments qu’ont les hôpitaux pour
nettoyer les voies respiratoires. Il utilise une pompe pour dégager les petits nez
bouchés, mais j’ai l’impression que la respiration de mon bébé est heurtée.
L’ambulancier se prononce sur le test Apgar : 9 puis 10. Tout va bien pour
ma petite fille toute fripée .
Maélie est née à 2h18 un 23 décembre. Mon conjoint est apparu pour couper le cordon
puis il l’a prise dans ses bras et l’a emmenée pour la présenter à sa grande
sœur, toujours dans sa chambre. C’est un moment que j’avais attendu avec
impatience, lorsque mes deux enfants se rencontreraient enfin, mais je l’ai
manqué! Ils sont ensuite revenus pour me voir, pour que ma grande fille
constate que j’allais bien avant de partir pour l’hôpital. Moment d’émotion
encore…
On a ensuite pu me transporter dans l’ambulance, puis
on m’a remis mon précieux petit paquet enroulé dans une serviette chaude et une
couverture thermique. Nous avons fait le chemin jusqu’à l’hôpital alors que
papa nous suivait en voiture. Une fois arrivés, le médecin a pu extraire mon
placenta, ce dont l’ambulancier n’était pas autorisé. On a nettoyé le bébé et revérifié
son Apgar, mais tout allait bien.
Notre ainée est venue nous visiter à l’hôpital le soir
du 23, et le 24 en après-midi, nous sortions pour célébrer le premier Noël de
Maélie à la maison, là où elle est née. Je flottais tellement sur l’adrénaline
que je n’ai pas fermé l’œil durant au moins cinq jours consécutifs. Tout compte
fait, tout s’est bien passé; ce fut bref mais très intense, et j’ai reçu une
aide précieuse de tous les intervenants qui ont fait de leur mieux. Fait
cocasse, la policière première arrivée sur les lieux est repassée par chez nous
l’an passé. Elle patrouillait et voulait prendre de nos nouvelles. Elle nous a
confié en passant que son collègue aux mollets de fer en avait été plutôt
traumatisé!
Désormais, je ne peux penser à Noël sans y associer la
naissance très spéciale de ma petite fille, qui restera dans ma mémoire comme
l’un des plus beaux souvenirs de ma vie.
Joyeuses fêtes!