J’ai déjà parlé ici
du cours sur les classiques de la science-fiction et du fantastique/fantasy auquel
je suis inscrite depuis l’été. Puisque j’ai manqué de temps pour les lectures
obligatoires, je me suis réinscrite à l’automne. Les lectures me fascinent de
plus en plus. Ainsi, je viens de découvrir Charlotte Perkins Gilman et son
roman Herland, que l’on nous présente comme possiblement le premier ouvrage
féministe de la science-fiction, paru en 1915 dans un journal de type « Pulp
fiction » puis réédité. Il s'agit d'un roman utopiste qui remet en cause la
façon dont la société nous façonne, hommes comme femmes, dans un rôle donné.
Ce roman (dont je n’ai
pas trouvé la traduction) décrit les aventures de trois jeunes hommes qui
partent à la découverte de ce qu’ils appellent « Herland »,
littéralement la « Terre des femmes ». Intrigués par les légendes,
ils survolent par avion une vallée complètement isolée du reste du monde, où
ils se posent pour faire connaissance avec les habitantes. Chacun spécule sur
ce qu’ils y trouveront, s’il s’agit bien d’un monde strictement habité par des
femmes, bien qu’ils n’y croient pas totalement. Comment un groupe de femmes, ce
sexe faible, pourrait-il survivre sans mâles pour leur dire quoi faire? Elles
doivent passer leurs journées à se crêper le chignon!
Bien sûr, leur déconfiture
arrive bien assez tôt dans le récit d’une rare intelligence, surtout
considérant l’époque. On y découvre non seulement une société strictement
féminine, qui s’est développée par obligation et non par choix, mais une
communauté utopiste vivant retranchée du monde, en autarcie. Au fil du récit,
nous apprenons comment, il y a 2000 ans, la vallée s’est refermée sur elle-même
suite à un tremblement de terre. Les hommes étant presque tous partis à la
guerre, les seuls représentants de la gent masculine qui restaient étant des
esclaves. Ils se sont rapidement rebellés, et furent tués par ces pauvres
femmes sans défense.
Ces survivantes croyaient
faire face à l’annihilation, mais un jour l’une d’entre elles est devenue
enceinte, par un curieux phénomène de pathogenèse (qui existe effectivement dans
la nature). L’Immaculée Conception. Cette mère a engendré cinq filles, elles
aussi capables de pathogenèse, et ainsi la communauté s’est reproduite. Étant
donné que le milieu de vie comportait d’importantes limites physiques, ces matriarches
en sont venues à contrôler les naissances et à optimiser chaque recoin de leur
terre pour la rendre habitable à long terme pour les générations futures.
Voilà toute la beauté
de cette histoire. Charlotte Perkins Gilman décrit une société qui valorise
tant la maternité et les générations à venir, que chaque geste posé l’est par
amour pour eux. « On n’hérite pas de la terre de nos parents, on l’emprunte
à nos enfants », disait St-Exupéry, selon certaines sources, d’autres citent
un grand chef indien, j’ignore lequel a raison.
Dans ce milieu
matriarcal, l’enfant se trouve au centre de tout, aussi l’environnement prime,
l’enseignement consiste en un jeu perpétuel auquel on accorde la plus grande
réflexion. Grâce à cet enseignement, on découvre les talents et intérêts de ces
enfants, qui ne s’en portent que mieux. Puisqu’il n’y a pas de sexualité
implicite à cette société de femmes (pas lesbiennes non plus), elles ne forment
pas non plus de partenariat avec une seule personne, mais partagent leur
existence, leur joie et leur amour avec toutes.
Les trois visiteurs en
prennent pour leur rhume, surtout le plus macho des trois qui possède des idées
très arrêtées sur ce qu’il conçoit comme le rôle de la femme, et la fonction de
l’homme en relation avec son épouse. Une fois que l’on retranche ces rôles
artificiels de l’équation, il ne reste plus grand-chose de ce phallocrate. Les
autres s’en sortent à peine mieux. Un deuxième, au contraire du premier, idéalise
la femme, la place sur un piédestal, et la traite comme un objet précieux à
protéger. Ces femmes travaillent de leurs mains, réfléchissent mieux que ces
garçons et possèdent une rare sagesse, aussi elles n’apprécient pas le
traitement. Le troisième, quant à lui, le narrateur, est un sociologue avisé,
qui préfère observer et consent à considérer ces femmes comme des personnes à
part entière, égales à l’homme en tout point. Lui arrive à former une relation
d’amour avec l’une d’entre elles, une relation basée sur l’admiration mutuelle et
le respect.
À mon avis, c’est une œuvre
magistrale, non seulement d’un point de vue féministe, mais bien sociétal.
Beaucoup a changé dans nos perceptions depuis que ce livre a été écrit, il y a plus
de cent ans, mais certaines choses demeurent. Cet ouvrage me rappelle qu’il
est facile de se laisser façonner par le regard des autres et de s’oublier dans
le processus. Aussi qu’au final, les hommes comme les femmes ont besoin d’un ou
d’une partenaire avec qui tout partager, dans le respect et l’admiration, et à
ce titre, Herland est toujours d’actualité.
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